Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
Stiffelio

1 DVD Naxos (2019)
2.110590
Guillermo García Calvo joue Stiffelio (1850), opéra de Giuseppe Verdi

En 1854, encore en début de carrière si l’on considère la date de son premier ouvrage lyrique (Oberto, 1839) et celle du dernier (Falstaff, 1893), Verdi écrit : « parmi les opéras de moi qu’on ne représente pas, parce que les sujets en sont contestables, il y en a un que je ne voudrais pas voir oublier, c’est Stiffelio » (in Jacques Bourgeois, Giuseppe Verdi, Julliard, 1978).

Après Friedrich von Schiller qui vient de lui inspirer Luisa Miller (1849), le musicien italien songe à revenir à Victor Hugo, dont Le roi s’amuse ne finit pas de le hanter – « une pièce superbe avec des situations terriblement dramatiques » (ibid.), – et à William Shakespeare, l’auteur d’une tragédie complexe mais à l’adaptation possible : King Lear. Connaissant son goût pour le barde d’Avon, on lui suggère Hamlet mais, dans l’immédiat, le musicien rêve d’un sujet plus facile. C’est une pièce française qui lui fournir ce dernier : Le pasteur ou L’Évangile et le foyer (1849), drame en cinq actes signé Émile Souvestre et Eugène Bourgeois, dans lequel un homme d’église lutte contre le désir de vengeance pour finalement pardonner à son épouse infidèle. Réduite à trois actes, l’œuvre voit le jour à Trieste, le 16 novembre 1850, sans rencontrer de souci majeur. Mais elle est ensuite malmenée par la censure religieuse (Rome, Florence), au point que Verdi interdise toute représentation à Milan, n’ayant pas obtenu les garanties nécessaires. Puis des aménagements sont consentis (Palerme, Naples). Remanié directement sur le manuscrit original pour donner naissance à Aroldo (1957), le seizième opéra de Verdi se débarrasserait donc d’un argument trop choquant pour un pays aux mains du Vatican, avant de retrouver sa forme première de nos jours, grâce à des copies conservées.

Filmée durant le Festival Verdi de Parme, au début de l’automne 2017, cette production a la particularité de faire circuler le public au centre du Teatro Farnese, autour de six estrades amovibles tour à tour réparties dans l’espace ou rassemblées. Une table et un lit suffisent à dessiner l’univers domestique du couple-vedette, tandis que des figurants dispersés dans la foule s’adonnent régulièrement à des enlacements stigmatisés. Les gradins alentour servent à afficher des slogans pour promouvoir ou contester l’emprise familiale, comme lors d’une action coup de poing qui rappelle celles des Femen (« Je suis une femme, pas un utérus ») [lire notre chronique du 30 septembre 2017]. Bravo à Graham Vick – le metteur en scène anglais vient de nous quitter, ce 17 juillet 2021 [lire nos chroniques de Moïse et Pharaon, Paria, Semiramide, Die Zauberflöte, Mitridate, Ipermestra, Le roi Arthus, Tristan und Isolde, Tamerlano, Ermione, Rigoletto et Eugène Onéguine] – de nous maintenir en haleine d’un bout à l’autre de l’ouvrage !

Trois ténors incarnent les amoureux de l’ouvrage : Luciano Ganci (Stiffelio, le mari trahi), avec ampleur, rondeur et une diction soignée qui fait oublier quelques instabilités [lire nos chroniques de Giovanna d’Arco et d’Andrea Chénier] ; Giovanni Sala (Raffaelle, l’amant de Lina) [lire notre chronique de Die Zauberflöte] et Blagoj Nacoski (l’amant de Dorotea), efficaces tous deux. Emanuele Cordaro (Jorg) est une force tranquille [lire notre chronique de Ti vedo, ti sento, mi perdo], tandis que Francesco Landolfi (Comte Stankar) ravit en père envahissant, certes un peu terne mais nuancé à souhait [lire notre chronique de Rigoletto]. On aime enfin Cecilia Bernini (Dorotea, la cousine) au mezzo-soprano expressif, et surtout María Katzarava (Lina) qui touche à la perfection, avec son chant facile et précis, au legato exquis [lire nos chroniques de Turandot, Don Carlo, Simon Boccanegra et I due Foscari]. Tous profitent de l’attention accordée à l’émotion par une direction élégante et ciselée, celle du chef Guillermo García Calvo, à la tête des Orchestra e Coro del Teatro Comunale di Bologna.

LB