Chroniques

par irma foletti

Rigoletto
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra de Toulon
- 5 octobre 2018
Elena Barbalich met en scène Rigoletto de Verdi à l'Opéra de Toulon
© alessia santambrogio

L’Opéra de Toulon ouvre sa saison avec l’un des titres les plus populaires, dans un spectacle en coproduction avec les Teatri di Opera Lombardia et la Fondazione Pergolesi Spontini di Jesi. La mise en scène d’Elena Barbalich s’écarte d’un traitement classique, sans convaincre pour autant, ni par l’audace très modérée de ses choix, ni, surtout, par une esthétique peu séduisante. Si les costumes de Tommaso Lagattolla se situent plutôt dans l’imagerie habituelle de Rigoletto – habits noirs et fraise blanche pour les hommes, robes longues assez strictes pour les dames, quoique Maddalena est en cuir noir dans ses bottes et que Rigoletto porte une veste hérissée de petites ailettes sur les côtés et de pics métalliques dans le dos, soulignant sa bosse –, les décors, conçus par le même, sont plus actuels. Ils se composent de quelques parois amovibles, fixées sur des structures métalliques apparentes et qui donnent l’aspect de gros treillis soudés verticaux.

Le rideau se lève sur quatre femmes seins nus, debout à mi-hauteur dans l’équivalent d’alcôves parallélépipédiques, à côté de grosses branches d’arbres, les mains se prolongeant par des feuillages. On pousse, plus tard, ces ossatures verticales sur roulettes pour figurer la maison de Rigoletto ou encore l’auberge au troisième acte, pendant lequel les chaises et tables métalliques, ainsi que les branches, sont suspendues dans les airs. La réalisation visuelle penche légèrement du côté du Regietheater, mais évoque plus une imitation que l’original ! On relève cependant un vrai parti pris, celui de placer Gilda à l’intérieur de l’auberge pendant le quatuor, le duc lui caresse le visage en même temps qu’il enlace Maddalena. Gilda sort ensuite ; des feuilles mortes lui tombent sur la tête avant qu’elle frappe à nouveau à la porte de la maison, vers l’issue fatale. Au final, pendant sa mort en avant-scène, on voit à nouveau les femmes-statues dans les cases verticales, en transparence derrière le tulle baissé.

La distribution est dominée par la Gilda de Mihaela Marcu, crédible dans son jeu, qui dégage de l’émotion [lire notre chronique du 21 juin 2014]. La voix montre une certaine étoffe, la musicalité n’est pas mise en défaut sauf sur la toute fin du Caro nome où elle termine, a cappella, un peu éloignée des notes reprises par l’orchestre. On entend également une émission homogène sur toute la tessiture, quoique limitée dans la partie grave. Le suraigu est disponible et lumineux jusqu’à une certaine hauteur. À cet égard, il serait plus raisonnable qu’elle ne tente pas le contre-mi bémol en conclusion de la Vendetta (Acte II). Le baryton Francesco Landolfi fait une première bonne impression dans le rôle-titre, jeune bouffon mais ensuite père moins en situation [lire notre chronique du 30 septembre 2017]. Le grain de la voix est riche et expressif, mais curieusement le volume diminue d’un seul coup pendant le premier duo avec Gilda, au I ; on pense d’abord à de jolies nuances mezza voce, mais non, la tendance se prolonge et il faut admettre que la puissance paraît s’éteindre. La maledizione conclusive sonne petit, et le phénomène se reproduit au deuxième acte, avec un Cortigiani où il faut vraiment tendre l’oreille, puis un duo de la Vendetta trop timide, sans charisme ni projection suffisante. En Duc de Mantoue, le jeune ténor Marco Ciaponi a de nombreuses qualités : un timbre clair qui passe bien la rampe, un style appliqué avec certains passages élégiaques proche du tenore di grazia, une qualité homogène sur tout le registre, ce qui lui permet en particulier de délivrer un contre-ré brillant et tenu à la fin de sa cabalette Possente amor mi chiama, en entrée du II [lire notre chronique du 19 septembre 2017]. Mais l’émission est malheureusement accompagnée d’un désagréable vibratello, un peu comme chez son confrère le ténor maltais Joseph Calleja. On décèle aussi de petits temps faibles où l’intonation semble moins assurée sur plusieurs attaques.

Le reste du cast est homogène. On remarque d’abord la Maddalena de Sarah Laulan, puissante et autoritaire dans son cuir noir [lire notre chronique du 30 janvier 2018]. Cependant, elle force ses moyens par moments, au risque de détimbrer. Le Sparafucile de Dario Russo fait le boulot, mais sans la voix d’outre-tombe qu’on entend souvent dans ce rôle, et qui – à raison ! – effraie le spectateur.

La direction musicale de Daniel Montané montre une belle qualité technique, toutefois sans dévoiler de grandes marques d’originalité. Les cuivres sont en place dès les premières mesures. On note l’absence d’orchestre de scène au début du I (tous les musiciens sont en fosse), ce qui rend le son moins riche et plus prosaïque que d’ordinaire. Plus tard, dans les grands ensembles, le chef ne caresse pas la demi-nuance en faisant sonner très franchement l’Orchestre de l’Opéra de Toulon, alors que la délicatesse paraît reprendre le dessus à partir du deuxième acte. Le Chœur maison, exclusivement masculin, ce soir, et préparé par Christophe Bernollin, fait un sans-faute. La cohésion collective n’est jamais mise en défaut, les attaques sont franches et dynamiques, aussi bien à tue-tête dans les deux premiers actes qu’au troisième à bouche fermée, avant le déchaînement de l’orage.

IF