Chroniques

par bertrand bolognesi

Turandot
opéra de Giacomo Puccini

Festival Castell Peralada / Auditori Parc del Castell
- 6 août 2016
Iréne Theorin et Roberto Aronica : Turandot au Festival de Peralada 2016
© tito ferrer

Trente ans ! Comme il se doit, le Festival Castell Peralada fête son anniversaire par une programmation fastueuse au cœur de laquelle deux représentations de Turandot font figure de phare. Du dernier opéra de Giacomo Puccini nous voyons ce soir la version achevée par Franco Alfano. La scénographie de Paco Azorín déplace d’emblée l’auditorium catalan dans la cité interdite. Au centre de l’espace, un dispositif mobile symbolise la toute puissance impériale et sert de promontoire à la vierge cruelle. Une jetée d’escaliers répond à l’exigence de monumentalisme induite par l’œuvre. De même les costumes d’Antonio Bellart se fondent-ils dans une vision traditionnelle qui pourrait fonctionner telle quelle, n’était la volonté de Mario Gas de prendre de la distance. On remarque assez vite le smoking sous la robe des ministres ; de même Calaf tombe-t-il bientôt son manteau à col de fourrure, apparaissant en militaire en pleine campagne. Le mort de Liù marque la fin de ce que traçait encore la main du compositeur : cette mise en scène le rappelle par un baisser de rideau puis une fin sans le dispositif décrit plus haut, et en costumes de concert.

Au service d’une partition qui la convoque souvent, la vaillance du Coro Intermezzo fait sensation. L’équilibre entre pupitres, la tonicité des interventions et la musicalité de chaque instant sont au rendez-vous d’un franc plaisir choral. Après Otello ici-même et in loco [lire nos chroniques du 1er août 2015 et du 29 janvier 2016], l’Orquestra Simfònica del Gran Teatre del Liceu se distingue une nouvelle fois dans le répertoire italien, spécialité de Giampaolo Bisanti qui, à sa tête, signe une lecture leste et dramatique. Avec juste ce qu’il faut de solennité à ce péplum chinois, le chef milanais soigne un lyrisme plus intime, en adéquation avec l’énigme de Liù (l’amore).

Le grincheux aura beau chercher, il ne trouvera aucune voix qui ne satisfasse dans cette distribution exemplaire – la chose est assez rare pour qu’on la souligne ! José Manuel Díaz campe d’une indéniable autorité un Mandarin tonique. Récemment salué à Paris en Banco de Macbet [lire notre chronique du 7 mai 2015], le jeune Andrea Mastroni compose un Timur à l’opulent legato. Le tout puissant roi du ciel est servi par la clarté d’impact et la saine projection de Josep Fadó. Les trois ministres triomphent, tant ils se jouent facilement des trios redoutables mitonnés par le Toscan, mais encore forment une entité prodigieusement équilibrée. On retrouve Vincenc Esteve Madrid (Pong) et Francisco Vas (Pang) [lire notre chronique du 19 février 2016], découvrant le baryton musclé et corsé de Manel Esteve, très convaincant. C’est également la première fois que nous entendons le soprano mexicain (d’origine géorgienne) María Katzarava : la souplesse, la lumière de l’aigu et la grâce de la ligne de chant, toutes ces épices de la passion font une superbe Liù (Como agua para chocolate, Alfonso Arau, 1992).

À son actif Roberto Aronica compte des Cavaradossi (Tosca), des Pinkerton (Madama Butterfly), des Rodolfo (La bohème), Pollione (Norma), Riccardo (Un ballo in maschera), Radamès (Aida) et les rôles-titres d’Ernani, Stiffelio, Otello, Don Carlo, etc. Sculpté dans le granit, son Calaf est direct, brave en héros tous les dangers vocaux, sans sourciller, prouvant une endurance hors du commun. La couleur fonctionne parfaitement, certes, mais encore ne fait-elle pas tout : conduite maîtrisée des moyens (dont un souffle qui semble inépuisable) et culture du style hissent plus loin cette prestation. Enfin, après ses somptueuses Brünnhilde [lire nos chroniques des 13 et 15 juin 2014] et la bouleversante Tove de Schönberg [lire notre chronique du 19 avril 2016], l’excellente Iréne Theorin surprend en Turandot. Sans effort, la voix traverse la légende comme au delà des temps, s’imposant sans ses stridences qui trop souvent handicapent le pouvoir de séduction de la princesse. Avec une telle chaleur du timbre, une onctuosité si enveloppante, des attaques jamais heurtées et un maintien absolu au sommet, celle-ci donne le frisson.

BB