Chroniques

par laurent bergnach

Giacomo Puccini
Madama Butterfly | Madame Butterfly

1 DVD C Major (2022)
762108
Enrique Mazzola joue "Madama Butterfly" au Bregenzer Festspiele

« Madama Butterfly rinnegata e felice » (reniée et heureuse), chante le rôle-titre au début du duo d’amour qui clôt l’Acte I de la plus célèbre tragédie japonaise conçue en Italie. Reniée, l’œuvre de Puccini le fut également, lors de sa création milanaise du 17 février 1904 (Teatro alla Scala), dans un climat de cabale qui révoltèrent l’éditeur Giulio Ricordi et le compositeur. Le premier regretta publiquement un tohu-bohu de « rires et gloussements » (Musica e Musicisti, mars 1904), tandis que le second évoqua en privé un « enfer dantesque bien préparé » (in Marcel Marnat, Giacomo Puccini, Fayard, 2005) [lire notre critique de l’ouvrage]. Mais la version remaniée pour Brescia (Teatro Grande), le 28 mai suivant, fut un triomphe qui donna raison au musicien confiant dans la destinée de son ouvrage – « ma Butterfly reste ce qu’elle est : l’opéra le plus sincère et le plus expressif que j’ai jamais conçu ! Vous verrez que j’aurai le mot de la fin quand on jouera dans un théâtre moins vaste et moins agité de haine et de passion » (ibid.).

Aujourd’hui, l’un des dix opéras les plus joués au monde s’installe à ciel ouvert, sur la scène flottante du Bregenzer Festspiele, en bord du lac de Constance. Celle-ci permet toutes les extravagances architecturales [lire nos chroniques de Rigoletto et d’Il trovatore], et l’on est une nouvelle fois émerveillé par le décor de cette production originale : une immense feuille de papier, à la souplesse d’un tissu peint à l’encre de Chine, ondule depuis la surface de l’eau jusque vers des cieux qui s’obscurcissent au fil de la représentation. « Sur ce papier, explique le metteur en scène Andreas Homoki [lire nos chroniques de L’amour des trois oranges, Von Heute auf Morgen, Der fliegende Holländer, Lady Macbeth de Mzensk et Wozzeck], les personnages japonais peuvent apparaître et réapparaître sans problème, tandis que les Américains doivent faire un trou dans le papier pour apparaître » – des déchirures doublements symboliques, puisque l’une d’elles est crûment traversée par un mat héroïque portant la bannière étoilée. Le décorateur Michael Levine offre donc un espace échappant au kitsch naturaliste, lequel est sublimé par un fin travail des lumières (Franck Evin) et de la vidéo (Luke Halls) – on découvre en bonus l’éclosion de cette surface de plus de mille mètres carrés qui comporte une centaine de parties assemblées, des haut-parleurs intégrés et huit escaliers d’accès invisibles au public. Signés Antony McDonald, les costumes disent aussi le fossé entre les États-Unis, au sommet de leur leadership mondial, et un Japon qui ravive le théâtre kabuki face aux modernisations de l’ère Meiji (1868-1912) [lire notre chronique du 22 juillet 2022].

Ces 20 et 22 juillet derniers, la distribution vocale est aussi d’un haut niveau. Barno Ismatullaeva (Cio-Cio- San) séduit par la sureté de son chant, et un legato idéal, tandis qu’Edgaras Montvidas (Pinkerton) offre un ténor brillant et vaillant [lire nos chroniques de La Traviata, Herculanum, Dante, Le timbre d‘argent et Vanessa]. Autour du couple-vedette se tiennent l’efficace Annalisa Stroppa (Suzuki), Brian Mulligan (Sharpless) dont ravissent les harmoniques aiguës [lire nos chroniques de La dame de pique, L'Africaine et Œdipe], Taylan Reinhard (Goro), Stanislav Vorobyov (Bonze) [lire notre chronique de Siberia] et Omer Kobiljak (Yamadori), remarquable d’ampleur et de clarté [lire notre chronique de Manon]. Hamida Kristoffersen (Kate Pinkerton) et Unnsteinn Árnason (Commissaire impérial) marquent moins l’esprit par leur chant que Riku Seewald, l’enfant métis, par sa présence. Mi-voralbergeois mi-pragois, le chœur s’ajoute à la liste d’artistes chantant. Enfin, il revient à Enrique Mazzola de diriger les Wiener Symphoniker, avec une grande sensualité. On retrouve le chef milanais en bonus, de même que la chorégraphe Lucy Burge et le compositeur Marcus Nigsch. Ce dernier commente notamment les emprunts de Puccini à La fiancé vendue (1866) de Smetana, ou encore à une chanson érotique chinoise du XVIIIe siècle.

LB