Chroniques

par katy oberlé

La tabernera del puerto | La taverne du port
zarzuela de Pablo Sorozábal

Teatro de la Maestranza, Séville
- 10 février 2019
À Séville, Mario Gas reprend sa production de "La tabernera del puerto"...
© javier del real

Quoi de plus naturel que de commencer un tour bref de l’Espagne lyrique par une représentation de l’une des œuvres fondamentales de son répertoire national ? Depuis quelques temps, notre média se fait volontiers l’écho de l’actualité d’un genre, la zarzuela, assez méconnu sinon dédaigné par le musicographe français. Ainsi le mélomane a-t-il pu trouver dans nos colonnes à se renseigner sur Doña Francisquita, La Generala et Maruxa d’Amadeu Vives, Los sobrinos del capitán Grant de Manuel Fernández Caballero, Pan y toros de Francisco Asenjo Barbieri, El gato montés de Manuel Penella Moreno, Iphigenia en Tracia de José de Nebra, Los elementos d'Antonio de Literes, La casa de Bernarda Alba de Miquel Ortega et d’El sueño de una noche verano de Joaquín Gaztambide [lire nos chroniques du 30 juin 2007, du 29 mai 2008, du 10 février 2018, des 5 février et 19 avril 2009, des 30 octobre et 25 novembre 2016, des 11 avril et 17 novembre 2018, enfin du 30 janvier 2019], soit une dizaine d’ouvrages qui, à elle seule, témoigne de la diversité d’une veine fort populaire dans la péninsule.

Dernièrement, La tabernera del puerto retrouvait la scène du Teatro de la Zarzuela, à Madrid, après plus de soixante-dix ans d’absence. Ses trois actes ont été créés à Barcelone, en 1936. Son auteur, Pablo Sorozábal, naquit dans la province basque de l’Espagne en 1897 – il a d’ailleurs écrit Gernika, cantate sur un poème de Nemesio Etxaniz à la mémoire de la cité rasée en 1937 par l’aviation allemande complice de Franco. Il s’éteignit dans sa quatre-vingt-douzième année, dans la capitale, après une double carrière de compositeur et de chef d’orchestre. Son catalogue présente une grosse vingtaine de zarzuelas, conçues entre 1930 et 1957. À la tête de l’excellent Coro del Teatro de la Maestranza et du Real Orquesta Sinfónica de Sevilla, Oliver Díaz, aguerri à ce répertoire, mène une interprétation soigneuse des nuances comme des coloris qui révèle le style particulier de Sorozábal, tout en souplesse. Cette fosse délicate soutient en douceur l’équipe vocale, même dans les moments nettement bouffons.

Le rôle de Marola est incarné par le soprano léger de María José Moreno qui en fait une séductrice née, complètement à l’aise dans les passages les plus ornés. Le personnage captive, malgré un registre grave un peu malingre qui le tronque de la part la plus sensuelle et ne fait guère honneur à la partition. La facilité d’émission du ténor Antonio Gandía est du pain béni dans la partie de Leandro ! La voix est claire, brillante même, et conduite avec une sûreté indiscutable. Le vibrato généreux d’Ángel Ódena ne dément pas un Juan robuste qui peut se montrer agile, au besoin [lire notre chronique du 4 octobre 2017]. Mal maîtrisés, les moyens de la basse Ernesto Morillo ne satisfont pas en Simpson, à l’inverse des bouffons Senén, Antigua et Chinchorro, très drôles et tous bien chantants – respectivement Agustín Ruiz, Vicky Peña et Pep Molina. La noblesse de ton accordé au rôle travesti de l’idéaliste Abel est vraiment bien défendue par Ruth González qui le rend attachant.

Dans la scénographie plus vraie que nature d’Ezio Frigerio, le port des contrebandiers s’anime sous les lumières très travaillées de Vinicio Cheli. On retrouve ici Franca Squarciapino qui a dessiné une garde-robe inventive, luxueuse et suggestive, en accord avec le livret. Ainsi le petit chef d’œuvre de Sorozábal est-il animé avec bonheur par la mise en scène fidèle de Mario Gas dont il faut louer la direction d’acteurs rigoureuse et un certain génie dans la gestion scénique des ensembles. Bref, on n’est pas déçue !

KO