Chroniques

par katy oberlé

Maruxa
poème lyrique d’Amadeo Vives

Teatro de la Zarzuela, Madrid
- 10 février 2018
À Madrid, résurrection de "Maruxa" d’Amadeo Vives par l'excellent Paco Azorín
© javier del real

De cette œuvre d’Amadeo Vives, indiquée poème lyrique en deux actes, je ne connaissais que le film du Madrilène Juan de Orduña (1900-1974), sorti sur les écrans en 1969 [et disponible sur YouTube]. Il faut dire que la zarzuela, genre espagnol auquel appartient Maruxa, n’est guère présente sur les scènes françaises. De Vives, à part Doña Francisquita [lire notre chronique du 30 juin 2007], ce n’est que par le disque, la représentation filmée ou l’adaptation cinématographique que le public français (qui ne voyagerait pas outre-Pyrénées) peut aborder l’œuvre. Le 28 mai 1914, c’est justement dans ce théâtre que fut créé Maruxa, drame pastoral d’une belle teneur orchestrale où fusionnent l’inspiration folklorique et l’inscription ouverte dans les esthétiques européennes de l’opéra début de siècle.

Il est toujours difficile de définir ce qu’est une zarzuela.
On rencontre souvent le terme opérette, ce qui accuse le genre d’une légèreté qu’il n’a pas forcément. Des commentateurs plus avisés parlent d’opéra-comique : cela semble plus proche de la vérité, puisque la plupart des zarzuelas présentent un mélodrame (dialogues parlés), à la manière du genre français, le terme comique ne signifiant pas qu’on va rire un bon coup mais que l’argument, même lorsqu’il est noir comme un tas de charbon, ne relève pas de la tragédie noble. Sur l’importance du ballet dans ce type d’ouvrages, rappelons qu’il fut longtemps une composante obligatoire de l’opéra français. La zarzuela s’en distingue par ses emprunts aux traditions régionales. Alors c’est quoi, la zarzuela ? C’est le mélange du chant, du récitatif, du texte dit, du ballet et de l’orchestre, au service d’une intrigue qui peut être drôle ou dramatique, conclue par un happy end ou par la mort : la zarzuela est donc l’opéra espagnol, ce n’est pas plus compliqué [lire nos chroniques de Pan y toros, Los sobrinos del capitán Grant, Iphigenia en Tracia et El gato montés] !

Pour sa part, Maruxa, intégralement chanté, n’est pas conclu par un drame.
Ayant tenté, par un désir aussi futile qu’ardent, d’usurper l’identité du berger et de sa bergère (Pablo et Maruxa), les seigneurs (Antonio et Rosa, cousin-cousine) se sont bêtement doublés l’un l’autre et se rendent compte, à la fin d’un rendez-vous galant dont l’imposture est l’unique sel, que les vrais berger et bergère, épris d’un amour simple et authentique, se sont retrouvés malgré la mascarade. Le mélomane espagnol ne souffre pas de cette méconnaissance qui définit le Français, mais il faut tout de même savoir que Maruxa n’avait pas été représenté sur cette scène depuis 1971 ! C’est donc une aubaine que d’assister à cette représentation, pour le public local et plus encore pour moi. On se rend compte rapidement du peu d’intérêt du livret – peut-être est-ce l’une des explications à l’absence de l’ouvrage depuis des années – et de la richesse de la musique dont on peu lire çà et là qu’elle a renouvelé le genre lyrique espagnol.

L’amour sur conflit de classes fait le sujet de l’opéra qui se passe en Galice, dans la prairie où paît le troupeau et dans le manoir de Rosa, riche propriétaire terrienne qui s’ennuie. Mais ne vous fiez pas au gentil mouton blanc de l’affiche verte du spectacle ! Sans porter atteinte à un seul mot ou une seule note de l’original, la nouvelle production de Paco Azorín délaisse la Galice rurale du début du siècle dernier pour celle des seventies. En mai 1976, suite à l’explosion accidentelle du pétrolier Urquiola non loin du port de La Coruña, deux cents kilomètres de côte galicienne furent pollués par près de cent mille tonnes d’hydrocarbure (environ la moitié de ce que déverserait l’Amoco Cadiz dans notre Finistère, deux ans plus tard). Le metteur en scène [lire notre chronique du 1er août 2015], qui réalise aussi le décor, signe une transposition très cohérente : plus question de surveiller les moutons, c’est à nettoyer le littoral que s’emploient vigoureusement Maruxa et Pablo, tandis que Rosa et Antonio sont les patrons de l’entreprise impliquée dans le naufrage du rafiot.

Le peuple de l’opéra de Vives vit en harmonie avec la nature, alors que les propriétaires, exploitant leur travail et jalousant leurs amours simples, n’ont aucun contact avec elle, si ce n’est de compter ce qu’elle leur rapporte. De même qu’en 1976 – et 2002, après que le Prestige se fût échoué à son tour –, des volontaires du pays, en combinaisons blanches (costumes d’Ana Güell), tentent de limiter les dégâts par un assainissement rapide quand les autorités territoriales ne font rien : on nous montre tout le chœur engagé dans cette initiative commune. En parallèle, le conseil d’administration de la société de Rosa. Les images de Pedro Chamizo mêlent judicieusement l’ignoble agression écologique à la vision idyllique d’une campagne préservée. Par cette puissante actualisation, Azorín dépasse les limites du livret. Son Maruxa est bien un hymne à la Galice, dont la danseuse María Cabeza de Vaca se fait la noueuse allégorie, très touchante, mais en tant que région industrialisée et défigurée par une poignée de profiteurs pour qui le désastre d’une marée noire n’a que peu de poids face au bénéfice exponentiel de leurs spéculations. Génial !

Le plateau vocal est très bon – et l’ouvrage n’est pas du tout facile à chanter.
Le soprano Maite Alberola incarne le rôle-titre d’un timbre charnu à l’ampleur impressionnante. Elle enjambe sans souci les embûches de sa partie, grâce à une bonne technique. Le baryton nuancé de Rodrigo Esteves donne un Pablo très musical. Rufo, le vieux contremaître complice des tourtereaux, est royalement assuré par Simón Orfila, basse buffa qui sait se rendre éloquente [lire notre chronique du 13 décembre 2016]. Avec un phrasé tout droit venu du répertoire vériste, Ekaterina Metlova (soprano) ne fait qu’une bouchée du personnage de Rosa. L’homogénéité de la voix de Carlos Fidalgo (ténor) s’accommode comme par miracle du rôle presque mal tourné d’Antonio. Tous vaillants, les membres du Coro del Teatro de La Zarzuela (dirigé par Antonio Fauró) offrent une contribution brillante. Au pupitre de l’Orquesta de la Comunidad de Madrid, maestro José Miguel Pérez-Sierra mène une exécution enlevée de Maruxa.

KO