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Chroniques
El sueño de una noche verano | Le songe d’une nuit d'été
zarzuela de Joaquín Gaztambide
Les spasmes qui avaient secoué le Teatro de la Zarzuela au printemps dernier, obérant la création de Policías y ladrones de Tómas Marco, s’opposaient au projet de fusion de la maison avec le Teatro Real, projet initié par des politiques plus enclins à confondre les structures qu’à défendre un patrimoine musical idiomatique qui ne se confit pas dans le folklore hispanique. La programmation de Daniel Bianco témoigne d’une volonté de faire vivre ce répertoire unique et de démontrer la vitalité du genre. Confiée à Marco Carniti, la nouvelle production de l’ouvrage de Joaquín Gaztambide (1822-1870), El sueño de una noche de verano, offre un avatar de cette soif de redécouvrir les ouvrages méconnus et de les extraire de la muséification.
Étrennée en 1852 au Teatro del Circo de Madrid, l’œuvre reprend l’argument d’un opéra-comique qu’Ambroise Thomas écrivit sur un livret de Joseph-Bernard Rosier et Adolphe de Leuven (Le songe d’une nuit d’été, 1847). Si le titre vient évidemment de Shakespeare, l’intrigue ne se contente pas d’un simple arrangement et procède à une mise en abyme du dramaturge anglais. Personnage central de l’argument, le poète emprunte l’allure d’un Falstaff, plus porté sur la boisson que sur l’inspiration. Avec un stratagème digne des Joyeuses commères de Windsor, la Reine Elisabeth I veut remettre l’artiste sur le droit chemin de la Muse, avec une scène finale où la pièce éponyme, A midsummer night’s dream, se révélera à un Shakespeare repenti.
Ce jeu mêlant habilement Histoire et illusion théâtrale, traduit en espagnol par Patricio de la Escosura (1807-1878), Raúl Asenjo, assistant à la direction du Teatro de la Zarzuela, a choisi de l’adapter dans un climat de dolce vita cinématographique, à Rome, à la fin des années cinquante, où interviennent Orson Welles qui se fait passer pour son propre sosie, et Universal Pictures, pour le passage à l’écran de la zarzuela de Gaztambide, tout en évitant de soutenir indirectement une dictature franquiste que les protagonistes ont fui dans la Ville Éternelle. Dans la scénographie de Nicolás Boni et les costumes dessinés par Jesús Ruiz, rehaussés par les lumières d’Albert Faura, quiproquos amoureux et piquante satire croquant les vanités et avidités du monde artistique s’enchaînent en un foisonnement étourdissant parfois la lisibilité dramaturgique, mais attentif aux ressources du hablado (parlé) pittoresque où se reconnaissent certains archétypes de la zarzuela. En pastiche du siècle élisabéthain, le final referme le spectacle sur une virtuosité réjouissante, çà et là ivre d’elle-même.
Le plateau vocal met en avant des solistes au fait du style et de l’engagement théâtral exigés. Dans la distribution entendue se distinguent les minauderies de diva de la lyrique Princesse Isabelle Tortellini – qui se déguisera en Elisabeth I dans l’ultime tableau – campée par María Rey-Joly. Santiago Ballerini incarne un aussi savoureux Guillermo del Moro, cinéaste caché sous le vêtement de Shakespeare à la fin, que le chanteur espagnol et tenancier de trattoria Juan Sabadete par Valeriano Lanchas, alias Falstaff dans la mascarade conclusive. Sandra Ferrández module les accents d’Olivia de Plantagenet, amie de la Tortellini, aux côtés des appels galants du Látimer de Toni Marsol.
Si l’on ne peut manquer l’apparition plus stéréotypée que réaliste de Sandro Cordero en Orson Welles, la galerie de personnages secondaires complète une fresque vivante et bigarrée : la domesticité représentée par Tobías (Pablo López) et Margarita (Milagros Poblador), et le duo fraternel formé par Maruxa (Ana Goya) et Mighello (Miguel Ángel Blanco) ; producteurs et mécènes, avec le directeur du cinéma et du théâtre espagnol, Luis María Escudero García (Jorge Merino) et le noble Don Liborio, Barón de Brisa (Pablo Vásquez). Préparé par Antonio Fauró, le Chœur remplit son office, quand la baguette alerte de Miguel Ángel Gómez-Martínez ne ménage pas la vitalité d’une partition qui, au delà du divertissement à la fois raffiné et populaire (dans le bon sens du mot), enrichit la compréhension du monde lyrique à l’âge romantique.
GC