Chroniques

par bertrand bolognesi

Doña Francisquita
zarzuela d’Amadeu Vives i Roig

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 30 juin 2007
une zarzuela au Capitole : Doña Francisquita d’Amadeu Vives i Roig
© patrice nin

Saluons le Théâtre du Capitole – qui présente Doña Francisquita en coproduction avec le Teatro de la Zarzuela (Madrid) et le Teatro Colón (Buenos Aires) – à qui nous devons de pouvoir désormais contredire certaines idées reçues. Après cette première approche, en ce qui nous concerne, l’on pourra dire que la zarzuela n’a que très peu à voir avec l’opérette avec laquelle on la compare souvent, si ce n’est l’usage de dialogues, usage qu’avec notre opéra-comique elle partage, d’ailleurs.

Avec Doña Francisquita zarzuela d’Amadeu Vives i Roig (en catalan ; en espagnol : Amadeo Vives), nous goûtons un divertissement charmant, à l’écriture vocale parfois exigeante. La partition, tout en présentant des airs qui se fixent immédiatement dans la mémoire, s’avère plutôt délicate, et si l’argument se veut léger, on n’y rencontrera pas de mièvrerie ou d’imagerie nostalgique. C’est à une pièce de Lope de Vega qu’il emprunte de gracieuses bouffonneries, non sans une certaine profondeur de vue. Avant tout, la zarzuela ne saurait être résumée à un genre : elle est un répertoire qui, pour avoir recours au chant et à la danse, se décline en des modes variés.

À la tête des musiciens de l’Orchestre national du Capitole réunis en formation réduite, Miquel Ortega sert tout ce que l’œuvre comporte de gracieux et d’enlevé, signant une lecture toujours élégante, simple et expressive. Ainsi éclaire-t-il un début de troisième acte à facture plus subtile dont il affirme le lyrisme raffiné. C’est d’ailleurs dans ce même passage que le Chœur du Capitole – dirigé par Patrick Marie Aubert –, qui se montre vaillant par ailleurs, retient l’écoute dans le savant maintien d’un mezzo piano parfaitement dosé.

Les béguins emportés et leurs jalousies machiavéliquement orchestrées trouvent des interprètes crédibles et attachants. La belle Aurora, soit La Beltrana pour laquelle soupire un dadais sympathique, est incarnée par Milagros Martín, grande ambassadrice de la zarzuela à travers le monde. Présence sensuelle, grave envoûtant et chien indicible, tout y est. La plus modeste Doña Francisquita, ingénieuse eau dormante dont les personnages oublient de se méfier, est chantée par Ruth Rosique qui livre une prestation fiable et enlevée, avec un redoutable air du rossignol (premier acte) sans brio ni accroc. Sa mère, la veuve Francisca, truculente et incorrigible Bélise qui croit briser les cœurs, rencontre en Trinidad Iglesias une interprète idéale. Qu’elle parle, qu’elle chante ou qu’elle gémisse, l’excellente comédienne, incroyablement sonore, se tait avec autant de bruit et de drôlerie. Voilà une artiste qui joue vite, net, sans tergiverser, avec une incontestable maestria. La réussite du spectacle lui doit beaucoup.

Les hommes ne sont pas en reste. Laurent Labarbe, Torero réjouissant au baryton généreusement solide, et Philippe Talbot, Veilleur de nuit efficace, doté d’un bel impact et d’une santé vocale qu’on aimerait contagieuse, se distinguent dans une vingtaine de petits rôles qui créent une grande vie sur le plateau. Luis Álvarez sert avec grande tenue les prétentions matrimoniales de Don Matias, géniteur du doux nigaud qui se révèlera son rival sans le vouloir. Armando Noguerra prête un chant qui mord volontiers le texte à peine dent, un timbre rond et chaleureux, une couleur enjôleuse à Lorenzo, l’élu temporaire de La Beltrana. Cardona, l’ami et entremetteur plein de bonne volonté mais vite dépassé par la vivacité de Francisquita, profite de la belle conduite des nuances que lui procure Vicenç Esteve, malgré un début un peu terne. Enfin, Ismaël Jordi emporte les suffrages. La voix est lumineuse, son placement a su dépasser une tendance à nasaliser qui en masquait légèrement les attraits, la nuance est exquise, l’aigu facile et d’une suavité inouïe, le phrasé souple, l’expressivité évidente, bref : bien servi se trouve le bêta énamouré qui, victime de son propre orgueil et des agaceries du rôle-titre, renonce à une fiera pour des amours plus sagement domestiques.

Dans les décors magnifiques d’Ezio Frigerio qui, complices des lumières choisies et contrastées d’Eduardo Bravo et des costumes de Franca Squarciapino, nous transportent en Espagne, la mise en scène d’Emilio Sagi suit pas à pas les ressorts de la comédie, imposant des personnages construits pour mieux profiter de chaque situation. L’on rit beaucoup.

BB