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Chroniques
Lucia di Lammermoor | Lucie de Lammermoor
opéra de Gaetano Donizetti
Le 26 septembre 1835, au Teatro San Carlo de Naples, les célèbres Domenico Cosselli, Carlo Ottolini Porto, Fanny Tacchinardi Persiani et Gilbert-Louis Duprez (par ordre d’apparition) présentent Lucia di Lammermoor, sorte de Romeo and Juliet dans l’Écosse du XVIe siècle. Accueillis avec succès, ces habitués des premières – on retrouve le nom de l’un ou l’autre associé à Auber, Berlioz, Coccia, Mercadante, Verdi, etc. – hissent l’ouvrage de Donizetti au rang de manifeste du romantisme en Italie, moins de dix ans après Der Freischütz (1821) qui tint ce rang pour les Allemands.
Paru quelques mois avant Ivanoe (1819), The Bride of Lammermoor est le plus sombre des romans historiques de Walter Scott – livré sous le pseudonyme de Jedediah Cleishbotham, fantasque collecteur des sept Contes de mon hôte publiés entre 1816 et 1831. L’ouvrage n’évoque aucun événement, aucune figure d’importance ; il s’intéresse au récit d’un amour tragique, inspiré du drame de Janet Dalrymple entendu par Scott durant l’enfance, avant que ne chute la maison Ravenswood, pivot de haines ancestrales.Soucieux de redorer son blason face à Bellini, suite à l’échec parisien de Marino Faliero (12 mars 1835), Donizetti choisit chanteurs, sujet et librettiste à sa convenance. Salvatore Cammarano simplifie l’intrigue et en modifie quelques aspects notables, comme la disparition de l’horrible Lady Ashton, persécutrice de sa propre fille, ou le suicide d’Edgardo, censé être englouti par des sables mouvants.
Pour cette nouvelle production du dramma tragico en deux parties, comme souvent, Stefano Poda se charge des décors, costumes, lumières et mise en scène [lire notre entretien]. À l’aide du métal noir ou miroitant, de néons et de fumée, il offre au rôle-titre « un palais froid, fermé, lourd, comme un magnifique et énorme cercueil duquel elle tentera en vain de s’échapper ». Alors même que les entretiens avec son amant sont conflictuels – l’échange d’alliances se fait quasiment dos à dos ! –, reste à Lucia un espace où rêver l’amour, symbolisé par un cube aux parois ajourées. Plus tard, également descendue des cintres, la version augmentée de cette forme rassurante affranchie du chaos offrira à la folle une cage qui la contient autant qu’elle la libère.
Saisissants, une harpe (Aurélie Noll) puis un harmonica de verre (Sascha Reckert) accompagnent l’héroïne dans un monde guerrier de cors et timbales, qu’arpentent neuf figurants de noir vêtus, bottés et gominés, soldats de quelque louche colonie d’insectes – cette chorégraphie persistante signe, elle aussi, le refus d’un réalisme conventionnel. Dans un rôle qui n’est pas écrit pour colorature mais spinto, la mozartienne Lenneke Ruiten séduit par un soprano évident et bien conduit, des vocalises faciles aux suraigus lumineux [lire notre chronique du 2 juillet 2016]. Le mezzo Cristina Segura défend le second rôle féminin (Alisa), parfois couvert d’être en fond de scène.
Plus proche du barbon que d’un frère, Àngel Òdena (Enrico) incarne un maître bien sonore [lire notre chronique 30 octobre 2016], entouré de ses âmes noires : Patrick Bolleire (Raimondo), basse à la rauque ampleur, et Pier-Yves Têtu (Normanno), souple et brillant. Chez les ténors, on aime également Tristan Blanchet (Arturo), clair et vif quoiqu’un peu tendu, mais surtout Airam Hernández (Edgardo), vaillant autant que nuancé, doté d’un timbre rond et chaleureux, qui émeut dans son désespoir ultime. Les hommes du Chœur de l’Opéra de Lausanne sont un peu brumeux, régulièrement dynamisés par leurs consœurs. Enfin, familier de la partition depuis plus de quarante ans maintenant, Jesús López Cobos mène avec un allant tranquille l’Orchestre de Chambre de Lausanne.
LB