Chroniques

par françois jestin

Le nozze in villa | Le mariage en ville
dramma buffo de Gaetano Donizetti

Donizetti WebTV / Festival Donizetti Opera, Teatro Donizetti, Bergame
- 22 novembre 2020
Une rareté de Donizetti qu'aucun public ne vit plus depuis deux siècles !
© rota | fondazione donizetti

Le Donizetti Opera Festival poursuit son programme Donizetti 200, initié lors de l’édition 2017 avec Pigmalione, en mettant chaque année à l’affiche une œuvre créée exactement deux siècles auparavant. La diffusion via internet mise à part, la démarche revêt cette année un caractère particulier, puisque Le nozze in villa n’a pas été représenté depuis sa création à Mantoue lors du carnaval 1820/21 puis les reprises à Trévise (1820) et à Gênes (1822). Aucun spectateur d’aujourd’hui n’a donc jamais vu l’ouvrage, la découverte est d’importance.

À l’écoute du troisième opéra représenté d’un Donizetti de vingt-quatre ans, l’impression est forte d’entendre une partition rossinienne qui, plus précisément, puiserait dans son répertoire buffo. Les tourbillons conclusifs, en particulier, pourraient être de la main de l’aîné – il faut dire qu’en 1820, Rossini est encore en pleine carrière, avec la création relativement récente du Barbiere di Siviglia (Rome, 1816).

Pour servir cette musique, l’orchestre Gli Originali est une formation historiquement informée placée sous la direction de Stefano Montanari. Le chef, qui tient également le pianoforte pour les récitatifs secs, développe une gestique nettement moins démonstrative que lors de ses nombreuses prestations à l’Opéra national de Lyon [lire nos chroniques de Carmen, Die Zauberflöte, Le Comte Ory, Die Entführung aus dem Serail, Alceste, Don Giovanni et Rodelinda] et l’on ne s’en plaint pas : pour autant, la musique ne manque absolument pas de dynamique, de vie et de délicatesse pour les douces cantilènes. Le chef est tourné vers ses musiciens sur le plateau, les choristes du Coro Donizetti Opera étant placés à l’arrière. Ainsi tourne-t-il le dos aux solistes qui jouent au parterre : on relève plusieurs petits décalages entre ceux-ci et l’orchestre, pas dramatiques mais perceptibles.

Avant la représentation, des footballeurs jouent sur une pelouse installée au parterre. Du pupitre, le chef interrompt l’entrainement, confisque le ballon et le crève rageusement à l’aide d’un petit couteau. Pendant l’Ouverture, deux cygnes géants, constitués de ballons blancs, forment un cœur avec leur cou – c’est charmant ! Ces préparatifs de mariage, mis en scène par Davide Marranchelli dans les décors naïfs d’Anna Bonomelli, sont bien en phase avec la musique joyeuse. L’héroïne de l’opéra, Sabina, est la photographe attitrée de la cérémonie ; elle n’arrête pas de prendre des clichés du couple, sur fond de toile peinte, une gondole à Venise, des animaux ou encore la Terre vue depuis la lune avec le slogan L’amore è nell’aria.

Tiré d’une comédie d’August von Kotzebue, le livret de Bortolomeo Merelli est plutôt simple et un brin farfelu. Amoureuse de Claudio, la belle Sabina se languit devant le portrait de l’aimé. La grand-mère Anastasia s’en saisit, veut savoir qui est cet homme. Acculée, la jeune fille répond ce qui lui passe par la tête, à savoir le roi. On annonce ensuite l’arrivée d’un personnage éminent que Don Petronio, maire du village et papa de Sabina, veut recevoir en grande pompe, en s’exprimant dans l’air plein d’orgueil Ombre degli avi miei, à la manière de Don Magnifico dans la Cenerentola rossinienne. Une voiturette de golf amène un peu de mobilier et quelques colonnes de ballons roses et blancs, avant que la grand-mère ne reconnaisse le souverain du portait. On monte alors un décor de couronne lumineuse sur petit podium, le tapis rouge est dévoilé sous la pelouse verte et tout le monde se prosterne devant le roi. La tromperie est découverte au second acte, mais tout finit bien : le maître d’école Trifoglio, à qui Don Petronio avait promis la main de sa fille, y renonce en l’absence de dot (il demande des contanti). Don Petronio se laisse attendrir par sa mère Anastasia et rien n’empêche plus le mariage d’amour entre Sabina et Claudio.

Fabio Capitanucci (Trifoglio) est un excellent baryton au grain de belle couleur et robuste [lire nos chroniques de Lucia di Lammermoor, Il pirata, Roberto Devereux, Zingari et La bohème], tandis que la basse Omar Montanari (Don Petronio) [lire notre chroniques de Che originali!] convient bien à ce répertoire bouffe. Ils font belle impression au cours du duo purement buffo, Per si bel nodo amico, précurseur de celui de Don Pasquale avec Malatesta, la partie finale accelerando qui se termine en chant syllabique. Le ténor Giorgio Misseri (Claudio), qui débarque à l’entame en chemise hawaïenne et tongs, fait entendre un timbre sans séduction immédiate, un instrument d’une souplesse relative au cours des passages d’agilité et une justesse d’intonation parfois mise à l’épreuve dans le registre le plus aigu. Il trouve toutefois sa place dans les ensembles, comme le finale du premier acte, alors que son grand air du second ressemble à celui de Lindoro dans L’Italiana in Algeri, les suraigus étant tenus mais très serrés… pour finir, on apprécie quand même la poésie des ballons qui s’envolent au plafond accrochés par une ficelle.

Le rôle de Sabina est clairement celui de la prima donna, confié au mezzo Gaia Petrone au beau grave bien soutenu, un peu discrète cependant sur ses notes les plus graves, mais capable de vocaliser de manière fluide [lire nos chroniques d’Arminio, Margherita d’Anjou et Ermione]. Son air conclusif amène un brillant supplémentaire à l’ouvrage, d’abord introduit au cor anglais, Non mostrarmi in tale istante enchaînant en forme de rondo Amare il tenero bramato oggetto qui peut évoquer l’air entrée de Norina dans Don Pasquale. Le rôle nettement plus secondaire d’Anastasia, la grand-mère, réserve un air à l’Acte II, Se la donna non ci fosse – on pense à la Berta du Barbiere rossinien –, morceau joliment chanté par Manuela Custer chez qui l’on salue bonne tenue vocale et technique aguerrie [lire nos chroniques d’Orlando finto pazzo et Madama Butterfly]. Davantage comprimari, Claudia Urru (Rosaura) et Daniele Lettieri (Anselmo) gardent la plupart du temps le masque entre leurs rares interventions, essentiellement sur récitatifs secs.

Notons encore qu’une partie significative de la partition est perdue : un quintette au second acte est absent de l’exemplaire imprimé à disposition, conservé à la Bibliothèque Nationale (Paris). Elio et Rocco Tanica, avec la collaboration d’Enrico Melozzi, ont composé pour l’occasion une musique très différente, dans le style et l’orchestration, de celle de Donizetti – une dizaine de minutes en courtes séquences très contrastées, certaines convoquant un brillant certain aux cuivres. Pour enlever tout doute à l’auditeur, Trifoglio accorde au début une guitare électrique et l’on peut sourire au clin d’œil à Don Giovanni lorsque Sabina chante Più la porta non ritrovo.

À la fin, tout le monde s’écroule, se relève et salue tour à tour… dans un silence d’enterrement qui fait repasser en tête les images dramatiques de la ville pendant la première vague de Covid-19. Le chef entre, puis l’équipe de production ; bientôt tous s’auto-applaudissent et la vie reprend. Le spectacle est filmé par Dynamic, ce qui augure d’un DVD à paraître prochainement sous ce label.

FJ