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Chroniques
L’elisir d’amore | L’élixir d’amour
opéra de Gaetano Donizetti
L'annonce faite avant la représentation arrive bien à propos : L'elisir d'amore sera suivi d'une soirée dansante sur le plateau, L'elisir da mare – autrement dit un élixir de mer, bravo pour le jeu mots ! –, qui colle parfaitement aux décors balnéaires conçus par Paolo Fantin. Le spectacle imaginé par Damiano Michieletto, coproduit par le Palau de les Arts Reina Sofía de Valence et du Teatro Real de Madrid, proposé également à La Monnaie de Bruxelles en 2015, trouve ce soir son écrin idéal sur la vaste scène en plein air du Sferisterio. La plage qui s'étend sur toute la largeur est plus vraie que nature : à gauche le Bar Adina, à droite le poste de surveillance pour la baignade, le terrain de beach-volley, deux palmiers, les douches, du sable partout, parasols et lits de bain à intervalles réguliers, et un poster géant d'une plage paradisiaque déployé sur le mur du fond.
Pendant que l'orchestre s'accorde, un couple âgé s'installe, le monsieur applique consciencieusement la crème solaire sur le dos de madame. Nemorino est le bagnino (garçon de plage), Giannetta la serveuse, Adina donne des cours de gymnastique et lit, pas exactement Tristano e la bella Isotta mais plutôt des magazines à grand tirage. Belcore est un gradé de la marine, dragueur de plage à lunettes noires, dont épaulettes et casquette ne laissent pas les filles indifférentes. Dulcamara déboule en véhicule tout terrain, faisant la promotion d'une boisson énergisante, un Full Energy Elixir, secondé par de ravissantes demoiselles en maillot portant des canettes gonflables géantes. Au second acte, c'est une piscine en forme de gâteau de mariage que l’on gonfle en direct, pour célébrer les épousailles envisagées entre Adina et Belcore. On la remplit de mousse par la suite, les choristes y pataugent dans une joie communicative. Bien sûr, il est difficile d'éviter le trop-plein de gags, comme lors du duo Esulti pur la barbara où Nemorino enfile palmes, masque et bonnet de bain à fleurs puis chevauche son requin en plastique et vient taquiner Adina allongée sur sa chaise longue. Mais les moments de poésie sont aussi présents, comme l'histoire à épisodes du nounours : Nemorino offre un ours en peluche à Adina, cadeau qui n'est pas à son goût et qu’elle jette, plus tard c'est Belcore qui déverse le sac poubelle contenant la peluche sur le pauvre Nemorino, mais l'image finale est celle du couple qui s'enlace, le nounours (tout sale !) dans les bras. Le tube de la soirée, Una furtiva lagrima, donne également lieu à une séquence mélancolique : Nemorino est perché sur le toit du bar dont les lettres ADINA s'illuminent à la fin de l’air.
Celui-ci est bissé, comme le plus souvent pour cet ouvrage, et chanté par l'Américain John Osborn en état de grâce, d'un grand raffinement dans sa conduite du chant. Sa puissance est modérée, mais la voix est homogène sur toute l'étendue, et l'oreille s'adapte rapidement au volume, dans l'acoustique favorable du Sferisterio [lire nos chroniques de Benvenuto Cellini, Le prophète et Guillaume Tell]. Mariangela Sicilia (Adina) possède un instrument qui porte bien davantage, mais l'intonation est moins sûre, en particulier dans les passages d'agilité qui la mettent à de brefs instants en difficulté [lire nos chroniques du 11 juillet 2018 et du 11 février 2016]. Iouri Samoïlov (Belcore), entendu au printemps dernier à Francfort dans La cenerentola, suscite à peu près les mêmes remarques : une belle qualité vocale, un medium et un aigu projetés vigoureusement, mais un registre grave limité et discret [lire nos chroniques du 10 mars 2018, des 16 août et 17 février 2017]. Beau gosse en scène, il est tout à fait dans son personnage de séducteur, que ce soit lorsqu'il se savonne sous la douche ou quand il fait un brin de causette aux jolies filles. En chemisette et caleçon aux couleurs de son élixir énergisant, Alex Esposito est un Dulcamara de luxe, très robuste et superbement timbré [lire nos chroniques de Semiramide et Don Giovanni]. Francesca Benitez, l'autre soprano, n'appelle pas de reproches en Giannetta, tout comme les forces chorales du Coro Lirico Marchigiano Vincenzo Bellini, enthousiastes, et qui parviennent à chanter sur un rythme commun malgré les grandes distances qui les séparent parfois les uns des autres.
La bonne coordination de l'ensemble est à mettre au crédit du chef Francesco Lanzillotta qui impulse une direction vivante, joyeuse, n'hésitant pas à demander quelques franches accélérations de la pulsation [lire nos chroniques du 9 mars 2018 et du 15 août 2017]. Il est à noter, enfin, que les reprises de plusieurs duos ne sont pas coupées – c'est malheureusement le plus souvent le cas –, comme par exemple celle du finale du duo Nemorino/Dulcamara, Ah! Dottor, vi do parola au premier acte. Au bilan, une soirée réussie, où humour et qualités vocales et instrumentales font bon ménage, pour un spectacle qu'on imagine à présent un peu à l'étroit sur le plateau d'un théâtre fermé.
IF