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Chroniques
Giacomo Puccini | Tosca, opéra en version de concert
Carlos Álvarez, Gerardo Bullón, Jonas Kaufmann, Sondra Radvanovsky, etc.
Tosca, l’un des opéras les plus populaires de Giacomo Puccini, fait sans doute le bonheur des sopranos dramatiques à travers le monde. L’exigeant rôle-titre fut d’abord créé au théâtre par la grande Sarah – Bernhardt, pour qui Victorien Sardou écrivit le drame original, en 1887 –, puis tenu sans discontinuité par des sommités lyriques, telle la céleste Maria Callas, depuis sa création par la Roumaine Hariclea Darclée au Teatro Costanzi de Rome, le 14 janvier 1900. « Il n’y a aucun moment superflu, sauf le Vissi d’arte », prévenait avec humour la chanteuse canadienne Michele Capalbo. Spécialiste de Floria, l’interprète ne se moque pas du fameux air du deuxième acte, bien au contraire, en ajoutant « il faut absolument rire, quand tu montes Tosca, car c’est un drame d’une trop grande intensité » (entretien publié par Le Droit, Ottawa, 3 septembre 2014).
Ce soir au Festival Castell Peralada qui collectionne les plus belles voix [lire nos chroniques du 25 juillet 2014, du 31 juillet 2015, des 6 et 7 août 2016, des 5 et 6 août 2018, du 20 juillet 2019 et du 24 juillet 2021], c’est à l’immense Sondra Radvanovsky, également en provenance de l’Ontario, qu’il revient de ressusciter l’héroïne. Largement à sa mesure, son nouveau défi en Catalogne consiste à ramener en terre promise les mélomanes qu’un long confinement a frustrés. Jusqu’au paradis du bel canto mélodieux façonné par le maestro toscan, dans les affres sentimentales malignement ourdies par les librettistes Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, et, de facto, par Puccini.
Dès le motif liminaire, comprimé avant l’éclat des cuivres et des percussions, Nicola Luisotti [lire nos chroniques de Tosca, La fanciulla del West, I masnadieri, Don Giovanni, Nabucco et Rigoletto] ne mâche pas son propos musical en mettant, à la tête de l’Orquesta Sinfónica del Teatro Real sur la large scène de plein air, pression intéressante sur les personnages. Les trois grandes figures de ce conte noir, la cantatrice romaine Floria Tosca, son amant le peintre Mario Cavaradossi et le chef de la police, le baron Scarpia, leur ennemi juré, tombent vite dans l’engrenage des passions appelant les grands gestes théâtraux, les épanchements lyriques et, surtout, les brefs tableaux où excelle Puccini. En toile de fond les brusques revirements du pouvoir politique sont évoqués, Tosca faisant humer le XIXe siècle historique pour mieux en pressentir le terrible avenir, telle l’avant-première de 1900, la fresque cinématographique ressortie cet été (Bernardo Bertolucci, Novecento, 1976).
Dans la peau du fuyard Cesare Angelotti, le baryton espagnol Gerardo Bullón apporte aussitôt le mordant et l’autorité d’acteur nécessaires à l’intrigue. Au moment d’instaurer le climat de cette première scène, dont le réalisme dramatique s’avère très soigné par le compositeur, la phalange madrilène produit lentement le sentiment de déséquilibre, bref moment dans l’inconnu qui ne dure qu’un instant, avant que, sans l’ombre d’une hésitation, se distinguent les couleurs propres à Puccini, aussi vives que douces, guidant le pas léger et dansant du truculent Sacristain. Privé de la chance d’évoluer dans un décor d’église, le rôle est pourtant assuré avec belle faconde par la goûteuse basse colombienne Valeriano Lanchas [lire nos chroniques d’El sueño de una noche verano et de Falstaff].
Il lui manquerait seulement le charme authentique du ténor lyrique italien – impossible de ne pas remarquer en Mario le ténor allemand Jonas Kaufmann ! Sans faille, l’incarnation bénéficie d’une émission très claire. À chaque air, un travail sûrement conséquent supporte l’édifice vocal sous une apparente décontraction, autorisant des recherches hardies de coloration vocale. Bissé – avec un peu de cabotinage vers les caméras qui, de nos jours, envahissent tout événement public –, E lucevan le stelle, la romance de l’Acte III, donne l’impression d’un exercice de style tout à fait maîtrisé, idéalement rectiligne puis merveilleux dans le rubato [lire notre chronique de sa prise de rôle à Munich, le 10 juillet 2010]. Même bien en voix, les hommes passent pour des petits garçons, ce soir, face à une telle Tosca, avec le retour glorieux de Sondra Radvanovsky ! D’un feu ravageur et nuancé qui expédie tout atermoiement, l’éblouissante étoile souffle les braises, fascine et anime la scène. Le long retrait dans sa grande maison de Caledon fut peut-être même bénéfique, tant rayonne aujourd’hui son chant qui déchaîne tout l’auditorium, à deux reprises, avec un Vissi d’arte magique, chanté à la perfection, doté d’un vibrato modèle et un sentiment de plénitude infinie pour résultat [lire nos chroniques de Roberto Devereux et d’Aida]. En revanche, le Scarpia du baryton Carlos Álvarez paraît souvent en demi-teinte, presque timide [lire nos chroniques de Rigoletto, I puritani, Andrea Chénier, La forza del destino, enfin d’Otello au Salzburger Festspiele, au Festival Castell Peralada et à l’Osterfestpiele Salzburg]. Alors que Tosca est divine et que la musique circule d’un sang neuf dans les différents tableaux où le chœur est invité au meilleur du festin, ce baron-là fonderait comme mascarpone. À sa manière rapace de faire gorge chaude en encerclant sa proie, il se montre pourtant ferme et sentencieux sous son air léonin, et même cinglant parfois.
Pour revivre l’opéra à son meilleur, ainsi y a-t-il bien du plaisir à retrouver de si grands artistes, à commencer par la bouleversante Sondra Radvanovsky. Mieux encore, ce concert catalan sert fort bien la musique de Puccini, fidèle fil conducteur de tant de coups de cœur lyriques.
FC