Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
Falstaff

1 DVD Bel Air Classiques (2020)
BAC 177
Daniele Rustoni joue Falstaff (1893), l'ultime ouvrage lyrique de Verdi

Si Giuseppe Verdi (1813-1901) multiplie les pages lyriques entre trente et trente-cinq ans – Ernani, I due Foscari (1844), Giovanna d’Arco, Alzira (1845), Attila (1846), Macbet, I masnadieri, Jérusalem (1847), etc. –, force est de constater que l’envie et l’énergie s’épuisent à l’approche de la soixantaine – une quinzaine d’années sépare Aida (1871) de son avant-dernier opéra, Otello (1887). Malgré tout, les sollicitations affluent car le cygne de Busseto remplit les salles comme jamais, et l’on aimerait assez qu’il s’arrachât une nouvelle plume pour se remette à écrire. Pourquoi pas un opéra-bouffe sur Don Quichotte, propose la Scala ? Et pourquoi pas plutôt Falstaff, suggère Arrigo Boito, qui achève de traduire Otello pour la création parisienne. Verdi mord à l’appât tendu par son confrère et librettiste qui, une seconde fois, adapte Shakespeare pour l’institution milanaise. Mais le soir du 9 février 1893 est encore loin et le compositeur demeure conscient qu’il doit imposer son rythme :

« Falstaff n’est pas terminé, je ne supporterai pas d’engagement à date fixe… Moi seul déciderai qui chantera quoi et quand… J’écris Falstaff pour m’amuser et je n’aurai peut-être pas du tout envie que l’ouvrage soit représenté. De toute façon je ne sais pas s’il faut le donner dans un grand théâtre comme la Scala. Peut-être sera-t-il plus à son avantage chez moi à Sant’Agata » (in Jacques Bourgeois, Giuseppe Verdi, Julliard, 1978).

De l’ultime ouvrage verdien – lequel signe, pour le musicographe français, la naissance de l’opéra moderne en pleine éclosion du vérisme –, l’on découvre ici une co-production entre Madrid, Bruxelles, Bordeaux, Tokyo et Valence, filmée au Teatro Real en avril 2019. Mise en scène et costumes sont confiés à Laurent Pelly qui offre au rôle-titre un bar d’une banalité assumée comme quartier général de ses manigances érotico-financières. Le domaine des commères se résume à quelques paliers et escaliers joliment conçus par Barbara de Limburg, fort pratiques pour planifier une contre-attaque collective. Avec l’apparition de sosies durant la plainte de Ford, au début de l’Acte II, Pelly commence à décevoir, même si cette légion permet une très tonique chasse à l’amant, dans l’épisode suivant. Malheureusement, toute fantaisie est enlevée à l’acte final, au profit d’une mascarade sinistre qui tourne au lynchage.

Une bonne équipe masculine entoure Roberto de Candia, chanteur à la voix puissante et domptée qui incarne Falstaff sans surjeu. Elle compte un autre baryton robuste, Simone Piazzola (Ford), au timbre chaud et à l’intonation sûre, le lumineux Joel Prieto (Fenton), Mikeldi Atxalandabaso (Bardolfo) qui associe brillance et fermeté, la basse bouffe Valeriano Lanchas (Pistola) et Christophe Mortagne (Dr Caïus). La distribution féminine satisfait de même, invitant l’efficace Maité Beaumont (Meg Page), Daniela Barcellona (Quickly) au legato séduisant et l’agile Ruth Iniesta (Nannetta) à rejoindre Rebecca Evans (Alice Ford), soprano volubile et léger, d’une exquise sureté. Chœur et orchestre maison œuvrent sans faillir sous la direction de Daniele Rustioni, lequel fait montre d’une expressivité savoureuse dans sa lecture vive et contrastée.

LB