Chroniques

par laurent bergnach

Rigoletto
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 11 avril 2016
à l'Opéra national de Paris, Quinn Kelsey est Rigoletto (Verdi)
© monika ritterhaus | opéra national de paris

À l’origine fut Nicolas Ferrial alias Triboulet (1479-1536), bouffon nain à la cour de Louis XII puis de François Ier. Condamné à mort pour avoir moqué une courtisane, puis simplement banni, Triboulet inspire les écrivains sulfureux : Rabelais tout d’abord, dont Le Tiers Livre (1546) est rejeté pour obscénité par la Sorbonne, puis Hugo qui en fait le personnage principal d’un drame romantique en cinq actes, Le roi s’amuse (1832), interdit au lendemain de sa création tant il violente la Monarchie de Juillet (1830-1848) – ce brave Hugo, connu pour forger des cœurs d’or sous des chairs grotesques (Quasimodo, Gwynplaine) et doter d’âmes noires les nobles frimousses…

« Triboulet est un personnage digne de Shakespeare !! » écrit Verdi à Francesco Maria Piave (8 mai 1850), déjà librettiste d’Ernani (Venise, 1844) [lire notre critique du DVD], avant d’ajouter : « […] cette malédiction affectant le bouffon d’une manière terrible, cela me paraît moral et sublime au plus haut point ». Malheureusement pour l’Italien, l’empire austro-hongrois règne sur Venise et brocarde un argument « d’une grande répugnance morale et d’une vulgarité obscène ». Il interdit formellement la poursuite d’un projet qui n’aboutit qu’après des compromis mutuels. L’artiste fait allégeance à la bienséance pour garder au drame son caractère « original et puissant ».

Ainsi, l’ouvrage est créé à La Fenice le 11 mars 1851, mais sans le titre La maledizione qui devait résumer un héros intimement lié au malheur. D’abord contraint à une fonction qu’il n’ose avouer à sa fille, auprès de puissants qui le tolèrent, Rigoletto est conduit à l’errance pour un rire de trop, sur les traces d’Ahasvérus et Kundry. Atteint le talon d’Achille, la chute se fait sans étapes, à l’instar du sans-abri d'aujourd'hui, aux souvenirs gardés dans un reliquaire de fortune. C’est donc une boite en carton géante qui sert de décor à la production signée Claus Guth, en collaboration avec Konrad Kuhn, permettant un retour en arrière vers une cour lilliputienne – un brouillage d’échelle décidemment à la mode [lire notre critique du 1er mars 2016].

Dès lors, entrons dans un musée de l’avant-garde, envahit de doubles toujours bien utiles pour éclairer le public imbécile. Rigoletto a le sien, clochard omniprésent et ridicule, tandis que Gilda, placée sur un piédestal par son geôlier ému, voit défiler ses clones, à trois âges de la vie. Quant à lui, le ballet est pratique pour combler l’espace et le manque d’idées : celui des hommes masqués illustre niaisement l’enlèvement tandis que celui de femmes emplumées fait rire (hélas !) sur La donna è mobile, sommet de cynisme d’un chaud lapin accro à la coke. Enfin, voulus pleins de candeur, les souvenirs filmés de l’enfant Gilda sont mièvres à rendre expressionniste un David Hamilton.

Plus d’une voix sauve le spectacle du naufrage.
Dans le rôle-titre, Quinn Kelsey impose un baryton sonore, mais peu nuancé. Ténor d’une claire vivacité, Michael Fabiano (Mantova) sait se faire tendre, comme dans Ella mi fu rapita. Olga Peretyatko (Gilda) offre un soprano souple qui gagne en puissance au fil des actes. Coté mezzos, Isabelle Druet (Giovanna) et Vesselina Kasarova (Maddalena) s’imposent avec leur efficacité habituelle. L’on prend aussi plaisir à entendre les basses Rafał Siwek, Sparafucile brillant et expressif, et Mikhaïl Kolelishvili, Monterone à la sonorité plus profonde encore.

Bornés à des interventions discrètes, Michał Partyka (Marullo), Christophe Berry (Borsa), Tiago Matos (Ceprano), Andreea Soare (Contessa), Adriana Gonzalez (Page) et Florent Mbia (huissier) complètent la distribution. Pour sa part, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris est guidé avec finesse et légèreté par le verdien Nicola Luisotti [lire nos critiques des DVD Nabucco et I masnadieri], tandis que le Chœur préparé par José Luis Basso est mordant. Après Il trovatore [lire notre chronique du 31 janvier 2016] et juste avant La traviata (du 20 mai au 29 juin), Rigoletto s’installe à Bastille jusqu’au 30 mai prochain, avec sa double distribution (Francesco Demuro, Franco Vassallo, Irina Lungu, etc.). France Musique le diffusera ce 28 mai, à 19h08.

LB