Chroniques

par richard letawe

Rigoletto
opéra de Giuseppe Verdi

Münchner Opernfestspiele / Nationaltheater, Munich
- 24 juillet 2007
Wilfried Hösl photographie Rigoletto de Verdi à l'Opéra de Munich
© wilfried hösl

En contemplant les photographies de cette production de Rigoletto (singes, soucoupe volante, cosmonautes), nos craintes étaient grandes d’assister à une de ces pantalonnades farfelues qui ont souvent cours sur les scènes allemandes. La « metteuse en scène » Dorris Dörie transpose l’action sur La planète des Singes : sauf Rigoletto et Gilda, le père en tenue de spationaute, la fille en robe blanche et en couettes qui la font ressembler à la Princesse Leia, tous les autres protagonistes sont grimés en singes. Sur cette troupe de primates règne le Duc de Mantoue, babouin au costume criard à chaînes, façon rappeur US.

Le contexte est déroutant de prime abord, mais le travail de Dorris Dörie est, à part cela, classique, et suit précisément la trame du livret. Il donne même beaucoup d’épaisseur aux personnages, rend l’action tout à fait lisible et, finalement, émouvante. Le grand quatuor du deuxième acte est particulièrement prenant, bénéficiant d’une direction d’acteur soignée et de l’utilisation ingénieuse du plateau tournant, ne servant pas qu’à changer de décor mais encore à créer un autre point de vue. Pourtant, la question qui se pose après la représentation est « pourquoi ? ». Pourquoi avoir déployé tant de moyens et imposé ce cadre spationauto-simiesque à Rigoletto pour, au final, suivre aussi littéralement le livret ? Et qu’a-t-on voulu dire par cette transposition a priori hasardeuse ? Exercice de style, volonté de provoquer le public, simple caprice d’un besoin de délirer ?...

Toujours est-il qu’on assiste une mise en scène claire, profonde et inspirée de Rigoletto. La distribution participe pleinement à la réussite de la soirée, avec un trio principal de haut vol. Remplaçant Joseph Calleja initialement prévu, Piotr Beczala, quelques jours après sa belle prestation dans Werther, est scéniquement crédible et vocalement vaillant. Il chante un peu trop en force, l’émission n’est guère latine, mais il est un Duc naturel, mauvais garçon, insouciant, cruel et séduisant. Sa Donna e mobile, pour manquer un peu de nuances, est éclatante et sanguine. Dans une tenue qui ne lui sied guère, Elena Mosuc est une Gilda de premier plan qui possède des aigus purs, subtilement colorés, et donne un Caro nome extatique. La voix est saine, puissante et bien projetée, la vocalisation aisée, avec une belle amplitude dynamique, le chant juste et précis.

Dans la plupart des productions, Rigoletto doit porter bosse et costume de bouffon, alors que les autres sont vêtus d’une tenue seyante. Ici, c’est le contraire. Tout le monde subit perruque poilue et masque de singe, alors que Rigoletto est en combinaison spatiale, certes peu élégante, mais dans laquelle il a l’avantage de se tenir debout sans devoir simuler la difformité. Carlos Alvarez fait belle impression dans ce rôle : l’expression est un peu monochrome, mais le timbre est solaire, la voix franche, la diction mordante et l’émission noble. Ce Rigoletto toise ses adversaires, ne perd jamais sa dignité, et le chant reste simple et prenant.

Vêtue d’une tenue relativement osée de latex rouge, armée d’un fouet, Elena Maximova est physiquement crédible, mais le chant de sa Maddalena en contredit l’apparence : grosse voix fruste aux graves caverneux, à l’italien bâtard et à la justesse aléatoire. Son frère Sparafucile est l’excellent Maurizio Muraro, aux graves sonores et bien timbrés, déjà remarqué la veille en Don Bartolo. Parmi les petits rôles, on remarque surtout le Ceprano bien chantant de Steven Humes. De haute stature, l’artiste est visuellement impressionnant, arborant une superbe tenue d’orang-outang ; sa capture par les sbires du Duc est remarquablement intense. Les chœurs de la Staatsoper (que nous n’avions pas beaucoup entendus durant notre séjour munichois) s’avèrent puissants, justes et bien en place.

Dans la fosse, le Bayerisches Staatsorchester est en forme moyenne, avec des vents parfois patauds. À sa tête, Friedrich Haider ne fait guère d’étincelles : sa direction est brutale et ses tempi souvent trop rapides, mettant parfois les chanteurs en difficulté. Malgré ses petites insuffisances, cette soirée reste de qualité, grâce à une distribution soudée et une mise en scène qui se révèle inspirée et passionnante.

RL