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Chroniques
Götterdämmerung | Crépuscule des dieux
opéra de Richard Wagner
Berlin-Charlottenburg. 15h45.
Dans un quart d’heure commencera la représentation du Crépuscule des dieux, chapitre conclusif de la Tétralogie de Richard Wagner. Dans environ six heures, il faudra dire adieu à la production de Götz Friedrich, créée en 1985 sur cette scène de la Deutsche Oper dont il fut le directeur de 1981 jusqu’à sa mort, le 12 décembre 2000.
Après ?... un nouveau Ring des Nibelungen gagnera ces planches, en 2020.
L’actuel intendant de l’institution, Dietmar Schwarz (dont le mandat, ouvert à l’été 2012, s’achève en juillet prochain) en confie la mise en scène au Norvégien Stefan Herheim. Comme le présent Ring fut celui de Jesus López Cobos, alors directeur musical Bismarkstraße, c’est à l’actuel chef en titre, Donald Runnicles, que s’attachera celui d’Herheim. Dans le même temps, Jürgen Flimm, Generalintendant de la Deutsche Staatsoper Unter den Linden jusqu’au printemps 2018, entreprend lui aussi un nouveau Ring destiné à Daniel Barenboim et à sa Staatskapelle Berlin, pour 2020. Il le commande à Dmitri Tcherniakov. Certes, la capitale brandebourgeoise est assez grande pour accueillir deux productions du chef-d’œuvre, mais on peut tout de même penser que, dans le cadre de la fondation qui, depuis 2004, réunit ses maisons d’opéra, une meilleure cohésion entre les décideurs pouvait vraisemblablement éviter la concomitance de tels événements, sans doute extrêmement très couteux.
C’est peut-être la raison pour laquelle ils se sont gardés de s’en entretenir : ainsi chacun des chefs importants du Berlin lyrique conduira-t-il son nouveau Ring dans trois ans, Barenboim semblant tenir absolument à le faire, bien qu’il ait déjà tout récemment joué celui réalisé spécialement pour lui par Guy Cassier [lire nos critiques des captations lors de la reprise à La Scala – Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried et Götterdämmerung – ainsi que notre chronique du 17 décembre 2010]. Pourtant, la charte de la Stiftung Oper Berlin est stricte sur la fréquence des ouvrages à représenter, lorsqu’il s’agit de grands classiques, et prévoit même, à l’aune du succès que gagne une première, la gestion de ses futures reprises dans un calendrier commun. Mis devant le fait presque accompli, le directeur général de la Stiftung, Georg Vierthaler, n’a pas dit son dernier mot. Le répertoire wagnérien possède un statut particulier dans le paysage musical allemand, un statut qui pourrait laisser présager que ces deux projets soient finalement confirmés. Il se pourrait aussi que les invalident des raisons non seulement économiques mais aussi de principe (les maisons d’opéra de l’est berlinois et de l’ouest entreraient en concurrence, alors qu’un esprit d’intelligence et de solidarité est à la base de la création de la Stiftung Oper, justement) et d’autres purement techniques (la disponibilité de chanteurs de renommée internationale dans une même période de représentations, surtout : impossible d’imaginer Runnicles ni Barenboim renoncer aux meilleurs voix, évidemment !). L’avenir nous le dira…
Quarante-huit heures après le final de Siegfried [lire notre chronique de l’avant-veille], nous retrouvons Stefan Vinke dans le rôle, un Stefan Vinke éclatant, formidable, très puissant. Oubliés, les signes de fatigue constatés dans l’acte central de la deuxième journée ! La vaillance est sans faille, le caractère parfaitement Heldentenor et la présence scénique domine le plateau. Brünnhilde samedi, Ricarda Merbeth chante aujourd’hui la partie de Gutrune où elle est bien plus à l’aise. C’est donc la walkyrie de vendredi [lire notre chronique du 14 avril 2017] qui nous revient, l’excellente Evelyn Herlitzius dont la robustesse dans le registre grave est plus idéale encore dans Götterdämmerung. Quelle autorité ! Elle aussi présente dans les épisodes préalables, Daniela Sindram prête son timbre rond et son chant tonique à Waltraute, la fidèle sœur qui vient mettre en garde l’amoureuse. Citons aussi les trois Filles du Rhin et les trois Nornes – Annika Schlicht, Christina Sidak et Martina Welschenbach ; Anna Klohs, Ronnita Miller et Seyoung Park –, sans oublier le spectre d’Alberich qui attise l’esprit de vengeance, toujours confié à l’exemplaire Werner Van Mechelen.
Deux voix masculines couronnent ce cast de grande classe.
Chaleureusement applaudi en Fasolt jeudi, Albert Pesendorfer incarne maintenant Hagen (qu’il chantera d’ailleurs ces prochaines semaines à Wiesbaden, puis à Tokyo et à Dresde en automne), suite à l’annulation de dernière minute d’Ain Anger qui, le 9 avril, assura le rôle lors du premier cycle. Saluons un artiste qui sut s’adapter en un rien de temps à la situation théâtrale et construire vocalement un Hagen de belle tenue, malgré l’urgence. Remarqué ici-même en Leporello [lire notre chronique du 15 janvier 2017], le baryton nord-américain Seth Carico donne un Gunther superlatif, nuancé comme jamais, très dense. D’autres voix nous éblouissent : celles du Chor der Deutschen Oper Berlin, dirigé par Raymond Hughes.
En fosse, Donald Runnicles poursuit le travail magistral qu’il amorçait au début de ce week-end pascal. Wagnérien avisé [lire notre chronique du 18 mai 2014 et notre critique du CD Jonas Kaufmann], il ne brusque rien au premier acte, prenant soin de chaque geste musical, de chaque intention dramaturgique. Il fluidifie à merveille le suivant et précipite le dernier dans les flammes. Après un soir de relâche, les musiciens ont repris des forces : ils sont simplement parfaits, dans cette prestation d’une grande expressivité.
Alors que Jasmin Solfaghari dirigeait la reprise de Rheingold et de Siegfried, Gerlinde Pelkowski veillait à la restitution de Walküre et de Götterdämmerung. Qu’en est-il de ce Crépuscule ? Plus de dix-huit heures de théâtre après les premiers bruissements aquatiques de L’or du Rhin [lire notre chronique du 13 avril 2017], il nous éclaire quant au cylindre inquiétant. Une guerre nucléaire avait eu lieu, laissant un monde en survie dont un dieu fatigué s’était désintéressé. Une seconde chance leur fut donnée, mais personne n’en fit rien : le Tunnel-Ring se termine par une nouvelle catastrophe atomique. C’est extraordinaire de pouvoir se plonger dans les années quatre-vingt, de voir où en étaient les consciences après le désastre de 1933-45, se souvenant de celui de 1914-18 et en pleine guerre froide dans une Allemagne divisée. Sans nostalgie pour des temps qui ne furent pas heureux, saluons encore un très grand artiste, Götz Friedrich. Depuis le 14 juin 2008, l’espace urbain devant la Deutsche Oper, à la sortie du métro, s’appelle Götz-Friedrich-Platz.
HK