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Chroniques
Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner
En ce week-end de Pâques, l’enchantement de découvrir le légendaire Tunnel-Ring des années quatre-vingt se poursuit, en toute logique, avec la première des trois journées du cycle, Die Walküre. Nous retrouvons l’excellent Donald Runnicles au pupitre de son non moins probant Orchester der Deutschen Oper Berlin avec lequel il a déjà joué plusieurs fois l’intégralité du Ring. On peut dire du chef écossais qu’il connaît son Wagner sur le bout des doigts, comme le prouve la haute tenue des trois actes de ce soir, menés d’une baguette lyrique et rigoureuse qui en dessine habilement chaque scène. Soudain la fougue se suspend : approfondis par un tempo extrêmement lent par rapport au reste de la représentation, les adieux de Wotan gagnent alors une densité saisissante qui bouleverse toute la salle. Le soin des motifs de transition relève du charme absolu, tissant l’ensemble comme d’une seule pelote.
L’ultime reprise de la Tétralogie de Götz Friedrich [lire notre chronique de la veille] nécessitait un cast à sa hauteur. Ce serait se moquer du monde que de faire le difficile à l’écoute des artistes réunis pour l’occasion ! Avec des noms comme Evelyn Herlitzius, Eva-Maria Westbroek et Stuart Skelton, l’affiche a de quoi plaire, c’est certain. Outre une saine équipe de walkyries toutes parfaitement distribuées (Ronnita Miller, Seyoung Park, Rebecca Raffell, Annika Schlicht, Michaela Selinger, Sunyoung Seo, Christina Sidak et Martina Welschenbach), chacun des rôles bénéficie de la voix idéale, qu’on le considère en soi ou dans la synergie d’ensemble que le plateau doit former. Félicitons la basse robuste de Tobias Kehrer, au service d’un Hunding sans concession [lire notre chronique du 14 août 2014]. La Fricka d’hier est de retour, Daniela Sindram au mezzo tellement élégant que rien ne pourrait l’assimiler à une mégère, même au plus fort de l’emportement de la déesse jalouse. Kurwenal remarquable, l’été dernier, à Bayreuth [lire notre chronique du 1er août 2016], Iain Paterson se révèle un Wotan de très belle tenue. On a connu des formats plus envahissants, certes, mais qui souvent ménageaient moins la ligne que celui-ci. Le baryton-basse cisèle formidablement son art, jusqu’à donner à ce dieu injuste et pleutre une noblesse qui en impose. Encore tout récemment applaudie à Paris en Ortrud de Lohengrin [lire notre chronique du 18 janvier 2017], Evelyn Herlitzius prend de gros risques dans la partie de Brünnhilde, plutôt destinée à un soprano dramatique possédant du grave qu’à un mezzo lyrique disposant d’une généreuse réserve dans l’aigu. Elle s’en sort haut la main, démontrant, à l’inverse des idées reçus, qu’une Kundry de référence peut être également une Brünnhilde de référence [lire notre chronique du 21 avril 2014].
Il n’y a aucun doute quant au couple star constitué par la Sieglinde d‘Eva-Maria Westbroek et le Sigmund de Stuart Skelton, amoureux inégalés dont l’expressivité, la musicalité, les moyens vocaux et la présence s’équilibrentet se complètent de façon optimale. La puissance du ténor n’est plus à prouver, loin s’en faudrait, de même que son assimilation d’un rôle qui désormais lui colle à la peau. De même Westbroek connaît-elle sa Sieglinde comme un second elle-même, après l’avoir chantée maintes fois. La facilité de ces voix, caractérisées par une émission aisée, une projection souple et un jeu rendu naturel par la phonation elle-même, nous vaut les meilleurs moments de cette Walkyrie superlative.
Après le spectacle, on comprend mieux le choc que put générer le Ring de Götz Friedrich, il y a trois décennies. Indéniablement, il poussait plus loin encore que celui de Chéreau, grâce à l’audace de son prédécesseur dont il avait absorbé l’audace. La dimension extra-temporelle et même extra-terrestre de la production décolle significativement dans ce deuxième volet du cycle qui emmène loin l’imaginaire, avec un Wotan qui se rebelle contre lui-même. La critique politique intervient avec une virulence que n’osent plus les metteurs en scène d’aujourd’hui, ou qu’ils osent uniquement par une provocation souvent cryptée, voire incompréhensible. Facile à dire, lorsqu’on voit trente-trois ans plus tard les débuts qui furent faits vers cette voie… peut-être, peut-être pas. Tout juste trouvera-t-on un brin folkloriques ces guerrières nympho’, gardiennes motorisées d’un abri antinucléaire parmi les ruines de l’irréparable. Déjà l’apocalypse s’annonce…
HK