Recherche
Chroniques
Richard Wagner
Siegfried
Après Der Rheingold en mai 2010 et Die Walküre en décembre, le Teatro alla Scala poursuit son Ring à l’automne 2012. Nous retrouvons la réflexion du dramaturge Michael P. Steinberg qui, plutôt que de surligner l’accent mis sur Histoire et mémoire [lire notre critique du DVD], puis sur les relations humaines [lire notre critique du DVD] dans son analyse du grand œuvre wagnérien, s’intéresse désormais au rôle-titre de cet avant-dernier épisode, Siegfried.
« La candeur juvénile du personnage éponyme donne une certaine légèreté à cet opéra, annonce-t-il. Cependant, une analyse plus approfondie révèle que malgré son caractère apparemment enjoué, cette œuvre est en réalité la plus sombre du cycle ». En effet, l’enfance misérable de Siegfried s’est déroulée dans la chaumière sombre de Mime, lequel l’a élevé dans la haine, au centre de cette forêt où Siegmund et Sieglinde ont péri. D’emblée, pour cet adolescent qui ignore ses racines, les dangers sont non seulement physiques – seule sa nature de héros lui permet d’apprivoiser ou de vaincre un ours des environs – mais aussi de nature émotionnelle et psychique. Son obsession à reforger l’épée paternelle l’entraîne immanquablement sur le sentier de la guerre, loin des autres possibilités offertes à une âme connaissant un minimum la peur – et, plus généralement, connectée à ses propres émotions, comme l’est Wotan, dieu vaincu par l’angoisse. « Dans un entretien préparatoire à la mise en scène, précise le spécialiste de la culture moderne européenne, Guy Cassiers compare Siegfried à un enfant qui sème la mort, comme on élimine ses adversaires dans un jeu vidéo ». Il faudra la rencontre de Brünnhilde et l’éveil des sens pour commencer à dégrossir notre homme des bois…
La vidéo, justement, structure comme jamais ce Ring. Mise en abime jusqu’à plus soif, elle dessine de splendides décors sylvestres, aquatiques ou enflammés. Certaines idées simples forcent le respect (le plateau dénivelé accentue la différence de taille entre Mime et l’orphelin, par exemple) quand d’autres tombent à plat, stupides ou mal filmées (les danseurs, le dragon, etc.).
Si Daniel Barenboim surprend en soignant le mystère du prélude, il déçoit une fois encore par un manque général d’intensité, voire de simple frémissement : l’arrivée de l’Oiseau est d’un prosaïsme affligeant quand l’entrevue avec Erda s’avère moins palpitant qu’un rendez-vous administratif. En vérité, ça frétille bien ici et là, mais sans enjeu particulier, genre Holiday on ice (début de l’Acte III).
Outre une direction d’acteurs aboutie, ce troisième volet milanais offre de belles rencontres vocales… à l’exception de Lance Ryan. Dans un rôle-titre sans boucles blondes, le ténor canadien n’est pas que tueur d’ursidé : régulièrement il massacre la partition avec un chant d’ivrogne nuancé mais disgracieux. Vaillant et riche en grave, Peter Bronder (Mime) est loin de l’option efféminé qui sévit scéniquement ces temps-ci. Pourvu d’une autorité naturelle, Terje Stensvold (Wanderer) impressionne par la fiabilité et la couleur. Johannes Martin Kränzle (Alberich) s’avère impacté et expressif, tandis qu’Alexandre Tsymbaliuk (Fafner) séduit par une fermeté pleine d’ampleur. Côté féminin, nous retrouvons Nina Stemme (Brünnhilde) en grande forme, c’est-à-dire forte des qualités qu’elle a déjà souvent déployées dans Wagner : chaleur, précision et naturel. Anna Larsson (Erda) livre un chant rond et impérieux. Enfin, Rinnat Moriah se charge de faire vivre l’Oiseau.
LB