Chroniques

par gilles charlassier

Fidelio
opéra de Ludwig van Beethoven

Grand Théâtre, Luxembourg
- 5 décembre 2018
L'univers onirique du "Fidelio" (Beethoven) du Grand Théâtre de Luxembourg
© monika ritterhaus

Carrefour de l'Europe et des mondes francophones et germaniques, Luxembourg exprime aussi le rayonnement géographique et linguistique dans son Grand Théâtre, qui nourrit de nombreuses collaborations avec plus d'une institution française mais ne néglige pas pour autant le monde d'Outre-Rhin. Ainsi en est-il du Fidelio d'abord réglé par Achim Freyer pour l'édition 2016 des Wiener Festwochen. Figure du Regietheater allemand, le metteur en scène n'en est pas à son coup d'essai avec l'unique opus lyrique de Beethoven. Une note d'intention relative à une production qu'il avait conçue en 1976 pour Francfort, sous la baguette de Christoph von Dohnányi, est d'ailleurs reproduite dans le programme, pour les seuls locuteurs de la langue de Weimar, cependant – cela expliquant ceci, vraisemblablement.

Réglant l'ensemble des paramètres scénographiques, Achim Freyer souligne l'enfermement carcéral et l'arbitraire du système qui le légitime par un décor graphique de lignes enchevêtrées réalisé par les projections vidéographiques de Jacob Klaffs et Hugo Reis, dans des tonalités bleues, signes de l'obscurité topographique autant que symbolique et politique. Grimés dans des costumes et des maquillages bouffons, qui sont sans doute l'une des marques de fabrique du metteur en scène, les personnages ont l'allure de pantins fixés sur panneaux réversibles, au gré de leurs apparitions. On ne saurait mieux exprimer leur fonction résumée à une dialectique au service de la démonstration morale, lutte manichéenne relayée par la doublure chorégraphique de Leonore et Pizzaro, confiée à Eva Maria Schaller et Thales Weilinger. S'il se veut fable, le résultat finit par devenir passablement indigeste, cédant à des tropismes esthétiques que l'artiste allemand développe jusqu'à la saturation critique et visuelle.

La distribution ne se montre pas avare de moyens.
En Leonore, Christiane Libor équilibre intensité expressive et homogénéité vocale. Sans verser dans l'incandescence, son incarnation se révèle convaincante [lire nos chroniques du 27 mars 2009, du 16 février 2010, du 3 juin 2011, des 24 mai et 14 juillet 2013, enfin du 2 juillet 2017]. S'éveillant de la torpeur du cachot, Michael König maîtrise la fébrilité de Florestan, jusqu'à la vigueur de la lumière retrouvée. Il n'est pas besoin de revenir à une polémique ancienne sur sa jeunesse pour être impressionné par la noirceur de Pizzaro campé par Evgueni Nikitin, d'une puissance égale à la détermination tyrannique. Franz Hawlata ne se contente pas de dessiner un Rocco à la débonnaire autorité paternelle ; il s'appuie sur un matériau qui évite tout forçage inutile pour laisser affleurer les calculs patrimoniaux [lire nos chroniques de Rosenkavalier, La fiancée vendue, Die schweigsame Frau, Fidelio, Le château de Barbe-Bleue, Die lustigen Weiber von Windsor et La fille de neige]. Marzelline et Jaquino reviennent à deux jeunes solistes français de la nouvelle génération, Caroline Jestaedt et Julien Behr, qui se glissent avec fluidité dans le vaudeville. Cody Quattlebaum assume honnêtement l'intervention de Fernando.

Au delà des deux prisonniers confiés à Antonio Gonzalez Alvarez et Marcell Krokovay, on saluera le travail de l’Arnold Schönberg Chor, d'une vaillance précise, fruit de la préparation d'Erwin Ortner, qui damerait presque le pion à la battue énergique mais non caricaturale de Marc Minkowski face à un Orchestre Philharmonique du Luxembourg fort honorable.

GC