Chroniques

par vincent guillemin

Das Liebesverbot | La défense d’aimer
opéra de Richard Wagner

Oberfrankenhalle, Bayreuth
- 14 juillet 2013
Das Liebesverbot, opéra de Richard Wagner, à Bayreuth
© dr | bayreuther festspiele

Alors âgé de vingt-trois ans et directeur musical du Théâtre de Magdebourg, Richard Wagner y dirige la création de son deuxième opéra Das Liebesverbot, sur un livret adapté de Measure for measure de William Shakespeare. Prévue pour renflouer les caisses du théâtre, la seconde représentation tourne au fiasco suite à une bataille de coulisse qui contraint le compositeur à présenter ses excuses aux trois spectateurs de la salle et à les convier à quitter la salle – cette scène fut l’élément déclencheur du départ de Wagner pour Riga.

Serait-ce un sombre présage pour la direction du Bayreuther Festspiele, en polémique depuis trois ans sur sa gestion par les deux filles de Wolfgang Wagner et avant un scandale quasi assuré du Ring de Frank Castorf fin juillet (nous attendrons de voir pour juger), que cette représentation de Das Liebesverbot se fasse devant un parterre où même les rangs protocolaires ont été réduit (de sept hier à quatre ce soir) et où plus de la moitié de la salle est vide, sans compter toutes les chaises où nous reconnaissons musiciens et choristes du festival ?

Ce gros problème de politique tarifaire et de communication [lire notre chronique de la veille] est d’autant dommageable que plus encore qu’hier le niveau musical est particulièrement bon. « Star montante » à suivre l’année prochaine entre Dresde (Der fliegende Holländer, Tannhäuser) et Munich (Les contes d’Hoffmann, Der Rosenkavalier), le jeune chef allemand Constantin Trinks dispose l’orchestre de façon à le faire sonner très convenablement dans l’acoustique inadaptée de l’Oberfrankenhalle, et à lui redonner sa sonorité cristalline si spécifique en plaçant les premiers violons face à lui à gauche, échangeant leur position habituelle avec celle des seconds. À l’œuvre jouée dans une version écourtée, il apporte jeunesse et dynamisme ; il confère une ferveur fort énergique aux nombreuses parties proches de l’écriture de Rossini et d’Auber.

La mise en scène d’Aron Stiehl, reprise la saison prochaine à Leipzig puis Trieste, convainc elle aussi par son côté festif et entraîne l’action dans les agréables décors de Jürgen Kirner : successivement une forêt tropicale colorée (le monde de l’amour et de la liberté), un espace religieux sobrement représenté par une croix sur une toile blanche, enfin un lieu très académique pour le monde de l’amour interdit, évoqué par des caisses numérotées plus ou moins sorties d’un grand pan de mur, le tout dans les beaux costumes de Sven Bindseil, proches du style Broadway.

Presque tous membres de la troupe d’opéra de Leipzig, les chanteurs, fort satisfaisants, sont porté par le Friedrich plus en voix que la veille de Tuomas Pursio, méchant ridicule au timbre idéal pour le rôle, le Luzio honnête de Bernhard Berchtold et le convainquant Claudio du ténor David Danholt. Des femmes aux qualités similaires, la Marianna d’Anna Schoeck répond avec un beau timbre de soprano à la jolie et fraiche Dorella de Viktorija Kaminskaite, entendue dernièrement dans Die Feen [lire notre chronique du 24 mai 2013], la plus grande voix de la soirée étant encore une fois Christiane Libor, déjà supérieure dans les distributions de Die Feen à Leipzig et à Paris [lire notre chronique du 27 mars 2009]. En amoureuse Isabella, elle prouve avec quelle efficacité et beauté elle tient sans jamais faillir les rôles complexes et longs de sopranos wagnériens.

Renié plus tard par Wagner, l’ouvrage montre la qualité des compositions des premiers temps et avec quel exercice de recherche un style fut trouvé, partant de l’opéra allemand (Die Feen), puis italien (Das Liebesverbot) et enfin français (Rienzi) avant de trouver sa voix personnelle avec Der fliegende Höllander. L’un des leitmotivs de Tannhäuser présent dès le début du troisième acte, l’efficacité dans le pastiche rossinien avec des conclusions d’actes joyeuses pour chœurs et solistes parfaitement agencées, plus encore la surprise permanente de l’écriture, exposent son incroyable génie. Les conditions ne sont pas idéales et le public malheureusement trop peu présent à cet « avant-festival » imaginé pour fêter le bicentenaire de la naissance du maître, mais l’élément principal est respecté : la musique.

VG