Chroniques

par bertrand bolognesi

Götterdämmerung | Crépuscule des dieux
opéra de Richard Wagner

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 3 juin 2011
Elisa Haberer photographie Crépuscule des dieux de Wagner à Bastille
© elisa haberer | opéra national de paris

Après deux épisodes et un prologue qui firent couler beaucoup d’encre depuis mars 2010, voici que s’achève le Ring de Günter Krämer, avec sept représentations de Götterdämmerung. Sans doute ne sera-t-il guère utile de revenir sur cette mise en scène, si ce n’est à reconnaître sa cohérence, qu’on l’apprécie ou non. Ce travail filant les mêmes tics, à défaut de motifs, depuis Das Rheingold, l’on ne s’étonnera pas de les retrouver ce soir, si bien que, d’une certaine manière, il ne déçoit pas – la production ne saurait faire date, c’est entendu. Bref : « Der Welt melden Weise nichts meht ».

En revanche, on s’explique plus difficilement certains choix de distribution, le maître des lieux nous ayant jusqu’à lors habitués à des plateaux judicieusement conçus, qualité qui caractérise ses programmations parisiennes comme celles d’autrefois à Toulouse. Sur ce point, et bien que les dames soient moins en cause que leurs confrères, la déception est grande, avouons-le. On ne se plaindra pas des Nornes, honorées par le phrasé généreux de Nicole Piccolomini, le timbre chaleureux de Daniela Sindram et l’attachante pâte vocale de Christiane Libor ; de même gardera-t-on un assez bon souvenir de l’élégante Woglinde de Caroline Stein. Excellente Ariane (Strauss) strasbourgeoise [lire notre chronique du 16 février 2010], non moins bonne Ada de Die Feen au Châtelet [lire notre chronique du 27 mars 2009], Christiane Libor donne ici deux rôles, puisqu’après la troisième Norne c’est en Gutrune qu’on l’entend, Gutrune au legato présent et large. Soirée de petite inspiration, semble-t-il, pour Katarina Dalayman qui, d’un indéniable grand souffle, campe une Brünnhilde sonore, quoiqu’accusant un bas-médium curieusement exsangue, mais pétrit son chant d’une seule farine, sans nuance ni plus de passion. Sophie Koch lui vole donc aisément la vedette, livrant d’une grande santé une Waltraute fulgurante et sensible.

Le compartiment masculin de ce Crépuscule, comme annoncé plus haut, laisse sur sa faim. À commencer par le plus satisfaisant, on citera l’Alberich à la fois méphitique et touchant de Peter Sidhom. Mais le Gunther d’Iain Paterson, pour posséder assurément la couleur idéale au rôle, n’est jamais tout à fait dans la note, handicap qu’il partage copieusement avec Hans-Peter König dont la débonnaire autorité ne va pas un seul instant au noir personnage de Hagen, même à le concevoir à un énième degré. Quant à Siegfried… What ever happened to Baby Kerl ?! Après son légendaire Paul de Die tote Stadt à Strasbourg puis à Paris [lire notre critique du DVD], Torsten Kerl connut une brève période de faiblesse vocale avant que de rebondir de plus belle dans une carrière de Heldentenor qui nous valut de grandes incarnations [lire notre chronique du 20 mai 2007]. Ce soir, l’émission s’avère étroitement directionnelle, la projection confidentielle et l’intonation des plus instables, avec un aigu à l’arrachée. Bref, aux côtés de Katarina Dalayman, le format ne tient pas, de sorte que le duo perd tout intérêt.

On pourrait gloser longtemps sur le désastre d’une soirée qui, à n’offrir pas le théâtre du Ring, fait également l’impasse sur un bon tiers des voix. L’on en dira seulement qu’elle provoque l’inverse de l’idéal art total wagnérien, puisque nous voilà à disséquer mise en scène d’un côté, voix de l’autre et fosse pour finir. Nous constations avec L’or du Rhin la prudence de la lecture de Philippe Jordan à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. Quinze mois plus tard, l’on apprécie une fois de plus le soin amoureux de la clarté des timbres, de demi-teintes exquises où déjà s’entendent les façons de Zemlinsky et de Debussy, paradoxalement, d’une articulation minutieusement structurée. On retrouve aussi cette tendance à ménager l’engagement, avec un premier acte très sage (voire trop), un deuxième plus habité, un dernier parfaitement présent. Mais cette absence de fougue, cette presque rigidité de l’interprétation, ne portent ni les chanteurs ni la symphonie ; or, assurément, le compositeur a beaucoup à nous dire par elle, parfois plus qu’à travers les gosiers qu’elle soutient. Mais si la lenteur de cette version peut gêner, surtout à l’Acte I, n’est-ce pas précisément parce qu’elle n’est pas assez profondément nourrie ? Tout est possible, on le sait bien, si nécessaire… Refermons cette chronique sur une touche positive : la prestation des artistes du Chœur maison, dirigés par Patrick Marie Aubert, fait grand effet.

BB

lire nos chroniques
Das Rheingold, 13 mars 2010
Die Walküre, 31 mai 2010
Siegfried, 1er mars 2011