Chroniques

par bertrand bolognesi

Prodaná nevěsta | La fiancée vendue
opéra de Bedřich Smetana

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 19 octobre 2008
L'Opéra national de Paris joue La fiancée vendue de Bedřich Smetana
© l. philippe | opéra national de paris

Créé à Prague au printemps 1866, La fiancée vendue, deuxième des ouvrages lyriques de Bedřich Smetana et incontestablement le plus populaire des opéras tchèques, fait à cent-quarante-deux ans son entrée sur la scène nationale parisienne. Il n'est jamais trop tard, dit le dicton, comme le prouve aisément cette production rafraîchissante signée Gilbert Deflo. Après une Ouverture donnée devant un paysage de campagne en guise de rideau de scène – avec son chemin rouge qui traverse l'éteule pour mener aux granges au milieu desquelles aura lieu la représentation –, les couples se réunissent sur une place de village sobrement stylisée, délimitée à l'arrière-plan par les illuminations d'une fête à venir.

Le chœur envahit bientôt le plateau, sous les couleurs vibrantes des décors de William Orlandi que rendront plus vivantes encore les lumières de Roberto Venturi. Avec la complicité de Micha van Hoecke pour la chorégraphie, la mise en scène sait inventer sans exagération : pique-nique sympathique où le marieur enivre les parents de la belle Marenka devant les roues d'une jolie Fiat d'autrefois, grand escogriffe qui fait valser une respectable dondon, composition du petit Vaska, immédiatement identifiable, qui promène son ballon vert au-dessus d'un nœud-nœud orangé – « il n'a pas l'âge de raison », nous dira le final ! –, kyrielle de bambins faisant le clown autour d'Esmeralda, la charmante dresseuse d'un cirque de passage, etc. Si l'on se rappelle le goût de Gilbert Deflo pour cet univers-là, il serait malvenu de le lui reprocher ici, car le cirque est bel et bien dans le livret, l'œuvre elle-même faisant surgir le pauvre Vaska en faux ours au plus fort de la confusion.

Préparés par Winfried Maczewski, les artistes du Chœur de l'Opéra national de Paris ne déméritent pas, assumant sans encombre les quelques rares particularités rythmiques inhabituelles du premier acte et livrant plus tard un robuste hymne à la bière. Bien que le plateau vocal soit inégal, la prestation s'avère satisfaisante dans l'ensemble. Couple plutôt mal assorti vocalement, la Ludmila de Pippa Longworth se fait aussi peu entendre qu'est largement sonore son Krušina de mari, Oleg Bryjak, malheureusement plus que fâché avec l'intonation (le quintette de l’Acte III en devient catastrophique). Bien qu'affirmant une réjouissante théâtralité, Franz Hawlata campe un Kecal au timbre généreux qui oublie la ligne de chant (le rôle est bouffe, mais tout de même…). De même Heinz Zednik est-il un Maître de manège plutôt truculent, quoiqu'avec des moyens vocaux manifestement fatigués.

Nous retrouvons Christiane Oelze dans le rôle de Marenka, la fiancée momentanément vendue par son amoureux rusé, une chanteuse appréciée pour des qualités qu'à plusieurs reprises nous avons commentées, mais qui paraît ici mal distribuée, malgré une conduite remarquable du chant. Souple, rond et facile, l'aigu est idéalement velouté, mozartien, mais l'impact se révèle trop léger, ce qui ternit le personnage.

À l'inverse, grand est le plaisir à l'écoute de certaines voix, comme celle d'Ugo Rabec dans la très brève partie de l'Indien, celle de Štefan Kocán pour Tobias Mícha, saine basse très présente, formant un couple parfait avec Helene Schneiderman en Háta, ou encore celle, tant pétillante qu'opulente, d'Amanda Squitieri en Esmeralda. Nasalisant volontairement certaines notes, Christoph Homberger s'amuse, autant que nous à le regarder, dans son incarnation du pauvre Vaska aux joues roses, sans mettre jamais en danger l'extrême justesse de sa phonation. Enfin, quoique souffrant d'un blocage cervical qui limite sa mobilité, le ténor tchèque Aleš Briscein sert le rôle de Jeník d'une voix claire, avantageusement impactée et parfaitement projetée. À la souplesse exquise de son attaque du duetto bellinien du I, dont il se joue des épreuves finales avec une élégance rare, il se montre plus vaillant encore dans le II, toujours en nuançant avec sensibilité.

Au pupitre, Jiří Bělohlávek livre une interprétation contrastée et attentive, faisant sonner certains ostinati de cordes annonciateurs de Janáček, comme les souvenirs mozartiens de Smetana. Volontiers mise en relief, la partition bénéficie de l'intelligence dramatique d'une lecture plus qu'avisée.

BB