Chroniques

par gilles charlassier

Farinelli, caro gemello
Concerto Köln, Valer Barna-Sabadus

Broschi, Caldara, Giacomelli, Porpora et Veracini
Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 14 septembre 2018
Valer Barna-Sabadus chante Broschi, Caldara, Giacomelli, Porpora et Veracini
© dr

Bientôt quadragénaire, le Festival d'Ambronay file – et conclut – sa métaphore triennale autour des vibrations et ouvre l’édition 2018, estampillée Cosmos, avec un programme qui résume son identité : l'excellence et les nouveaux talents, la curiosité et la consécration. Inscrit depuis plusieurs décennies dans le paysage musical « historiquement informé », en particulier baroque, mais pas exclusivement, Concerto Köln s'associe à l'une des nouvelles coqueluches des amateurs de contre-ténors, Valer Barna-Sabadus, révélé au public français avec l'Artaserse de Vinci en 2012 [lire nos chroniques du 14 août 2012, du 9 juillet 2013, des 22 juillet et 26 novembre 2014, des 22 avril et 16 septembre 2016, enfin du 13 janvier 2018]. Mettant à l'honneur la figure légendaire de Farinelli, et son amitié presque gémellaire avec Métastase, poète fournisseur attitré des livrets d'opéras du Settecento (chacune des lettres qu'ils s'adressaient commençaient par caro gemello), la soirée navigue sur la virtuosité vocale et les affects archétypaux de cet âge d'or des castrats, tressée de pièces instrumentales, selon l'esprit du récital.

Dans la Sinfonia en la mineur tirée de La morte d'Abel, Caldara emprunte les accents de l'intimité contrite, mise en valeur par une belle plénitude sonore. La chair et la solidité de la formation germanique favorisent un épanouissement des couleurs, sans afféterie rhétorique, qui sert aussi bien le pastoralisme du premier air d'Abel, Quel buon pastore io son, vaste page où le contre-ténor dévoile d'emblée son alchimie idiomatique de musicalité et d'innocence dans le timbre, que dans le larghetto Questi al cor fin ora ignoti. Porpora, qui fut le professeur de Farinelli, mais aussi d’Haydn, offre une évolution dans l'écriture, perceptible dans l'air de Tirsi, Il pie s'allontana, extrait de L'Angelica, introduit par la Sinfonia en sol majeur Op.2 n°1, modelée selon les contrastes consacrés. L'on y repère un savoureux solo de basson assumé par Lorenzo Alpert. Les volutes de la partie lyrique n'obèrent pas une relative simplicité dans l'expression, conduite selon une sincérité amidonnée avec équilibre. D’Adriano in Siria de Giacomelli l'héroïsme fanfreluché de Farnaspe, Amor, dover, rispetto, referme la première partie sur des artifices maîtrisés avec constance.

Après l'entracte, on retrouve Porpora, et à nouveau L'Angelica, avec une vive Sinfonia en sol majeur, et une autre aria de Tirsi, Non giova il sospirar, d'une évidente fluidité, légère et allante au diapason d'un texte consolateur des amours déçues et promptement remplacées. Alto Giove, prière d'Acis dans Il Polifemo, constitue assurément un morceau de choix – et attendu. Valer Barna-Sabadus distille une intensité intelligente, sans jamais se départir de l'élégance naturelle de sa ligne, s'attachant à l'épiderme de la profondeur du sentiment, en consonance avec la plasticité de la partition, portée au demeurant par un accompagnement efficace, sans alanguissement déplacé. Préludée au clavecin, l'Ouverture VI en sol mineur de Veracini, de style français, livre un bel exemple de la versatilité accomplie de Concerto Köln et d'un instinct consommé de la dramaturgie orchestrale – on retiendra, par exemple, les deux hautbois d'amour concertants. Si le film de Gérard Corbiau n'avait pas laissé de la production du frère du castrat, Riccardo Broschi, l'éclairage le plus marquant, l'air d'Arsace, Se al labbro mio non credi (Artaserse), affirme une inspiration délicate, non dénuée de qualités, ici servie avec une conviction communicative, avant la faconde de notes et d'effets d'Acis, Senti il fato (Il Polifemo), nervurée de vaillance et secondée par une bienvenue consistance orchestrale. Trois bis nourriront les oreilles pour viatique : une page de Farinelli lui-même, Ecco quel fiero istante, aux confins de la bluette, avant un numéro d’Händel écrit pour le rival Caffarelli, Crude furie (Serse), d'une bellicosité avertie.

GC