Chroniques

par bertrand bolognesi

Les Folies Françoises, Patrick Cohën-Akenine
Philippe Jaroussky, Valer Barna-Sabadus et Sonia Prina

Alessandro Scarlatti | Oratorio per la Passione di Nostro Signore Gesù Cristo
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 22 avril 2016
façade du Palazzo Bonelli (1690) où fut créée la Passione de Scarlatti en 1708
© dr | alessandro specchi, 1690 – palazzo bonelli

Ce n’est pas une Passion dans l’acception courante du terme que le public est venu écouter ce soir avenue Montaigne – un public nombreux, cette fois, ce qui donne à penser que le répertoire baroque attire désormais plus de mélomanes que la symphonie postromantique [lire notre chronique de la veille]. Cet Oratorio per la Passione di Nostro Signore Gesù Cristo ne livre pas une narration des malheurs d’un barbu couronné d’épines mais se présente comme un commentaire de l’acte fondateur du culte chrétien, commentaire confié à trois allégories : la Faute, le Repentir et la Grâce (Colpa, Pentimento e Grazia).

Au Palazzo Bonelli de Rome est créé en février 1708 cet oratorio d’Alessandro Scarlatti, composé sur un livret du cardinal Ottoboni, par ailleurs mécène du Saxon Händel. Trois voix aguerries à l’interprétation baroque sont réunies aux côtés des Folies Françoises que dirige Patrick Cohën-Akenine du violon. L’introduction ne convainc cependant pas, avec des cordes relativement imprécises. Certes, le beau travail de la nuance dépasse aisément l’exactitude technique du détail. Rapidement, la formation instrumentale se reprend et, plus que de disputer le devant de la scène, distille un soutien attentif et précieux au trio vocal

À elle seule l’affiche est une promesse : Philippe Jaroussky en Faute, Valer Barna-Sabadus en Grâce, enfin Sonia Prina en Repentir – certains se damneraient ! Comme pour doubler le texte, la valeur sûre de la soirée s’avère le Repentir. Dès l’entrée en jeu de Sonia Prina, la concentration du chant, tout droit venue de l’art de la Renaissance, avec cette gravité toute particulière de la présence vocale, impose une autorité évidente. Avec l’air Spinta dal duolo le contralto italien investit l’écoute dans le discours. Pourtant, un léger enrouement se laisser percevoir dans le haut-médium : alors même que l’artiste n’est pas en parfaite possession de ses moyens expressifs, le résultat demeure très satisfaisant. En effet, on ne retrouve pas l’ampleur habituelle du grave, cette chaleur inimitable du timbre, mais à celui qui la connaîtrait moins il n’y paraîtra presque rien [lire nos chroniques du 12 avril 2015 et du 28 juillet 2009].

Quatre ans plus tôt nous entendions un tout jeune homme. C’était à l'Innsbrucker Festwochen der alten Musik où, à vingt-sept, il défendait un programme passionnant [lire notre chronique du 14 août 2012]. Depuis, la carrière a pris son essor. Cette voix à l’impact si intrusif, tout au service d’un art savamment ciselé, le conduisait ensuite à une incarnation d’importance, au Festival d’Aix-en-Provence [lire notre chronique du 9 juillet 2013], quand le disque permettait au plus grand nombre de découvrir le contre-ténor (Stabat Mater de Pergolesi, airs d’Hasse et, tout récemment, un album Caldara paru chez Sony). Il illumine l’apparition de la Grâce d’une couleur plutôt ronde et d’une souplesse d’émission confondante. Ces atouts sont à l’œuvre d’un duetto remarquable avec le Repentir – Piangerò/Piangi pur. On admire l’air Gerusalem, ritorna, dont l’ornementation gagne une louable tendresse. Malgré ces indéniables qualités, une certaine agitation envahit l’interprète au fil du concert, générant certaines rodomontades moins assurées dans la seconde partie – certes, le fougueux Figli miei, spietati figli n’est pas des plus faciles, mais le plus abordable Teco son io ne convainc pas plus.

C’est une courbe inverse qu’emprunte la prestation de Philippe Jaroussky. L’air du désastre, qui ouvre la partition, subit la raideur d’attaques acides, une diction laborieuse et quelques soucis de stabilité. Avec La Figlia di Sion le matériel se précise et le chanteur retrouve un mordant plus souple qu’il ne perdra plus. Enfin, avec Mira, Signor, deh Mira il dolor moi, au dernier tiers de la première partie, la voix et l’art sont bien là, autorisant acrobaties et raffinement extrême. Le triomphal Trombe, che d’ogni intorno in quel gran giorno au cœur de la seconde partie ne dément pas une superbe qu’acclame tout le théâtre.

BB