Chroniques

par gilles charlassier

Don Pasquale
dramma buffo de Gaetano Donizetti

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 11 juin 2018
Damiano Michieletto signe "Don Pasquale" (Donizetti) au Palais Garnier (Paris)
© opéra national de paris | vincent pontet

Damiano Michieletto aime à dérouter le dénouement des ouvrages qu'il met en scène. Il l'a démontré récemment à Liège, dans une Donna del lago surnommé la Nonna del lago [lire notre chronique du 5 mai 2018]. Présenté par l'Opéra national de Paris au Palais Garnier en fin de saison, son Don Pasquale confirme ce penchant dramaturgique. Au delà de la caractérisation du barbon (sur laquelle nous reviendrons), la leçon que la jeune génération veut donner au troisième âge réunit davantage Norino et son frère Malatesta que la jeune fille et Ernesto, mis de côté au tomber de rideau par les deux comparses qui ont réussi leur coup – on ne saurait déterminer avec exactitude s'il s'agit d'une manœuvre financière ou simplement amoureuse, ni voir dans les effusions l'expression de sentiments plus profonds que la complicité frauduleuse.

Pour mettre en images cette relecture, le metteur en scène italien s'appuie sur les décors de son comparse attitré, Paolo Fantin. Un assemblage de néons dessinant les arêtes d'un toit signifie un domicile, dont l'intérieur semble figé au milieu du siècle précédent, voiture comprise, avant que la nouvelle épouse le transforme à l'aune d'un minimalisme contemporain, préférant une berline noire et allemande pour tout carrosse. Les costumes d'Agostino Cavalca accentuent le fossé générationnel, entre les bretelles sur la bedaine mûre et l'adulescente casquette à l'envers, tandis que la demoiselle dispose d'un vestiaire léger et choisi pour mettre en valeur les avantages de sa physionomie. Rehaussée par les lumières d'Alessandro Carletti, la lente impassibilité rotative de l'ensemble est accompagnée par des techniciens à vue, en charge de mettre en place le dispositif cinématographique réglé par le duo Rocafilm – Roland Horvath et Carmen Zimmermann. Sur grand écran en fond de scène se projette ainsi, en un propos illustratif sinon de premier degré, le programme de Malatesta, bellâtre à lunettes de soleil et blouson de cuir, comme le rôle que va composer Norina. Il fallait bien cela pour mettre en évidence l'artifice de l'intrigue dans l'intrigue, avec des moyens ne se limitant ni aux contraintes ni au génie du théâtre. On notera la manière dont est sculptée l'intervention – unique – du Chœur, préparé par Alessandro Di Stefano : l'efficacité comique traditionnelle se révèle parfois la plus sûre.

Dans le rôle-titre, Michele Pertusi fait affleurer la bonhomie du personnage, et, derrière son masque d'autorité, une vulnérabilité touchante qui ne déparerait pas chez Houellebecq. La carrure de la basse italienne ne fait aucun doute, quand bien même le caractère bouffon ne sied pas idéalement à une vocalité plus à l'aise dans l'expression de la noblesse paternelle, laquelle autoriserait davantage le legato qu'une vélocité d'attaque confinant, çà et là par défaut, à une raideur à laquelle nous n'avions pas été habitués [lire nos chroniques de Norma, Thaïs et Jérusalem]. En Malatesta, Florian Sempey se confirme comme un des plus solides barytons de la nouvelle génération française. La plénitude de l'incarnation répond à celle d'une technique qui s'appuie sur un grain nourri et agile, prompt à souligner une noirceur parfois inattendue chez le docteur [lire nos chroniques du 8 décembre 2017, du 30 octobre 2016, du 12 septembre 2013 et du 24 septembre 2010]. Sans bouder l'éclat des notes, Lawrence Brownlee maîtrise sans réserve le bel canto, peut-être plus rossinien qu'il ne faudrait dans une écriture qui ne sacrifie pas l'expression à la virtuosité. Celle de la Norina de Nadine Sierra, magnifiée par un timbre chamarré, ne doit pas faire oublier un calibre parfois un peu diététique [lire nos chroniques de Lucia di Lammermoor et d’Eliogabalo]. Frédéric Guieu s'acquitte des interventions très ponctuelles du Notaire, quand dans la fosse, Evelino Pidò ne cède pas à la tentation métronomique et pondère fort efficacement le lyrisme, sinon les couleurs, de la partition.

GC