Chroniques

par hervé könig

Norma
opéra de Vincenzo Bellini

Teatro Real, Madrid
- 29 octobre 2016
la Norma décidément celte et bien chantée du Teatro Real, à Madrid
© javier del real

Ouverture moelleuse à souhait pour cette Norma du Real que la maison madrilène coproduit avec le Palau de les arts Reina Sofía de Valence et l’ABAO, association des aficionados d’opéra de Bilbao où nous étions hier soir [lire notre critique de la veille]. Sous la baguette sagement sévère de Roberto Abbado, la partition de Bellini sonnera dans un équilibre minutieux entre emphase dramatique, respect de la convention, juste milieu classique et lyrisme romantique.

Et dès ce lever de rideau, l’espace est envahit, pour notre bonheur, par des vidéos très en mouvement (D-WOK) qui se fondent à une scène nue, à l’instar des corps qui gagnent le plateau dans une gesticulation inquiétante. On aperçoit l’héroïne et ses deux rejetons quand la forêt survient, défiant les proportions, comme dans le cinéma de contes. Avant une courte guérilla, le regard du loup, en gros plan, donne le ton. L’omniprésence des nudités sauvages engage facilement les sacrifices humains dans la scène des druides où Oroveso, avec ses arcades sourcilières rehaussées, sa coiffe cornue, sa toge ornée de motifs ésotériques, sort d’une page heroic fantasy, façon Game of thrones. Voilà, le mot est lâché : cette Norma est totalement dark fantasy, pour les costumes et l’unique élément de décor (GIÒ FORMA) – une énorme souche d’arbre aux allures de trône barbare faisant office de logis de la prêtresse et d’autel païen –, comme par l’image qui tourbillonne sans cesse, nuages hallucinants, flammes magiques, runes celtes, etc. Félicitons Antonio Castro dont le travail de lumière dut n’être guère facile, dans un dispositif si profus d’effets spéciaux et où l’image fait tout. Seul écueil à la production de Davide Livermore (directeur artistique de l’institution valenceña précisée ci-dessus) : elle abuse de la tournette sur laquelle est posée la souche massive d’où l’on parle aux dieux.

Puisque nous commencions hier un week-end espagnol placé sous le signe du bel canto, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? De la distribution réunie ce soir par Joan Matabosch, personne ne vient chagriner les oreilles, au contraire. Que de duos passionnés, d’aveux émus, d’habiles vocalises et autres grands moments vocaux !

On retrouve le jeune Antonio Lozano, apprécié dans Pergolèse et Wagner [lire notre critique du DVD Il prigonier’ superbo et notre chronique du 12 mars 2011] : il campe avec génie un Flavio à l’angoisse communicative, d’une voix qui s’affermit de plus en plus dans le répertoire italien [lire notre chronique bellinienne du 14 juillet 2016]. Au fond, il s’agit bien de peur, dans cet opéra où l’amour court après lui-même comme le Romain après les femmes. Ample et favorisé par une ligne magistralement mené, l’Oroveso de la basse parmesane Michele Pertusi accuse seulement un vibrato parfois excessif, mais le chant reste de belle tenue et, surtout, le personnage en impose. Alors que nous venons de le saluer pour un brûlant Roberto Devereux filmé ici-même [lire notre critique du DVD], Gregory Kunde offre sa vaillance et l’éclat du timbre à Pollione. Remarquée cet hiver dans Das Liebesverbot [lire notre chronique du 19 février 2016], le soprano catalan Maria Miró livre une Clotilda de bon aloi. D’abord légèrement instable, l’Italienne Maria Agresta dompte petit à petit ses moyens, plus évidents après le célèbre Casta Diva qui paraît mal assuré. Puis la couleur s’illumine, le legato se précise, l’impact se densifie et l’aigu s’ouvre : Norma termine le premier acte en beauté et bouleverse tout le second. Plus encore, c’est à l’Adalgisa extraordinaire de Karine Deshayes que va la préférence du public et la nôtre. À elle seule la douceur de l’émission magnifie le rôle. Ses aveux tirent les larmes, et la tendresse du duo du deuxième acte, par un soprano caressant le grave (Norma) et un mezzo qui chatouille l’aigu (Adalgisa) trouve en ces deux chanteuses des interprètes zélées – c’est du velours !

Encore bravo au chef, Roberto Abbado, qui convoque un relief inattendu au fil de l’intrigue, main dans la main avec les musiciens de l’orchestre local. Sans oublier les voix du Chœur, bien menées par Andrés Máspero. Loin d’une transposition hasardeuse comme celle vue à Salzbourg il y a deux ans, en visite à Paris ce mois-ci [lire notre chronique du 12 octobre 2016], la Norma de Livermore est traitée dans une tradition renouvelée par les moyens techniques d’aujourd’hui, sans autre gymnastique.

HK