Chroniques

par laurent bergnach

Anthropocene
opéra de Stuart MacRae

operavision.eu / Scottish Opera, Glasgow
- 4 mai 2020
Glasgow, 2019 : création d'Anthropocene, opéra de Stuart MacRae
© james glossop

À l’instar de Péter Eötvös, fertile en conception d’opéras sans négliger la musique pure, l’Écossais Stuart MacRae (né à Inverness, en 1976) peut s’enorgueillir de nombre d’ouvrages portés à la scène, parmi lesquels Remembrance Day (2009), Ghost Patrol (2012), The Devil Inside (2016) et Anthropocene (2019). Ceux-ci ont en commun d’avoir été commandés et créés par le Scottish Opera, avec pour librettiste Louise Welsh, que d’aucuns connaissent mieux comme auteur de romans policiers.

Pour leur nouvelle collaboration, le compositeur et l’écrivaine ont voulu garder leurs personnages dans un endroit clos, et que leurs relations se détériorent sous l’influence d’un élément extérieur au groupe. Welsh s’inspira des œuvres de Mary Shelley (Frankenstein, 1818) et de William Shakespeare (The tempest, 1623), tandis que MacRae cite les cinéastes Ridley Scott (Alien, 1979) et Danny Boyle (Sunshine, 2007)*. Une expédition entreprise en 2011 par un groupe mixte (scientifiques, philosophe, historien, etc.), dans des fjords du Groenland rendus navigables par le changement climatique, décida de l’orientation finale du projet – rappelons que le nom de l’opéra (« ère de l’humain ») fait référence à notre période géologique, laquelle voit les activités de l’homme perturber l'écosystème terrestre. « Cette idée d’un groupe de personnages ayant des raisons différentes de se trouver là et qui regardent chacun différemment leur situation, a été intégrée au récit d’Anthropocene », explique MacRae, tandis que sa complice précise : « beaucoup de gens ont des hallucinations sur la glace, ils voient des choses qui ne sont pas là. […] C’est un paysage qui invite aux mythes ».

Sept personnes sont réunies à bord de l’Anthropocene, navire de recherche qui a profité de l’été arctique pour prélever des échantillons : le capitaine Ross et son ingénieur Vasco, le riche entrepreneur Harry King qui a financé l’expédition et sa fille photographe amateur, la professeure Prentice qui dirige les recherches avec son mari Charles, ainsi que Miles, un journaliste que King a chargé de rendre compte des victoires de l’expédition. Mais la température chute rapidement, le navire est prisonnier de la banquise. Après un premier moment de tension – Prentice va-t-elle sacrifier son mari ou le groupe ? –, voilà qu’un corps humain coincé dans un bloc de glace renaît à la vie et retrouve la parole, tandis que le journaliste sabote le système de communication et tue qui l’a percé à jour.

Deux actes suivent, que nous ne dévoilerons pas pour préserver le suspense de cette histoire entre conte et thriller, où nos reclus conduits par l’ambition évoquent sans cesse hier et aujourd’hui (microbes préhistoriques, poussières extraterrestres, etc.), la science et la légende (satellite, immortalité, kraken, etc.). Outre un livret enthousiasmant et une musique intemporelle portée par Stuart Stratford à la tête d’une quarantaine d’instrumentistes, ce spectacle créé le 24 janvier 2019, filmé le 9 février, suscite l’intérêt grâce à la mise en scène dynamique de Matthew Richardson (également aux lumières). Samal Blak (décors et costumes) réussit, quant à lui, le pari du dépaysement.

Une distribution presque parfaite permet de répondre aux vaillances exigées par la partition. Elle réunit les soprani Jennifer France (Ice) [lire notre chronique de Dixit Dominus] et Jeni Bern (Prentice) [lire notre chronique du Rheingold], le mezzo-soprano Sarah Champion (Daisy), les ténors Mark Le Brocq (King) [lire notre chronique d’Owen Wingrave] et Anthony Gregory (Vasco), les barytons Stephen Gadd (Charles) et Benedict Nelson (Miles), [lire notre chronique de The Tender Land] ainsi que le baryton-basse Paul Whelan (Ross). Une nouvelle fois, le site OperaVision offre au mélomane la visite de terres méconnues, en cette période de confinement sanitaire [lire nos chroniques de Violanta, Der ferne Klang, The Bassarids et Trois contes].

LB

* à cette liste anglo-saxonne pourrait s’ajouter La nuit des temps (1968), le roman de René Barjavel que notre culture française nous ramène à l’esprit.