Chroniques

par irma foletti

La damnation de Faust
légende dramatique d’Hector Berlioz

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 6 novembre 2025
Une "Damnation de Faust" assez décevante au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© vincent pontet

On le sait, mettre en scène La damnation de Faust, indiqué légende dramatique par Berlioz, et conçu entre opéra, poème symphonique et oratorio, n’est pas forcément chose facile. Mais on a tout de même connu des résultats plus aboutis [lire nos chroniques des productions signées Robert Lepage, Terry Gilliam, Marie-Ève Signeyrole et Richard Jones] que la proposition minimaliste, voire réductrice, de Silvia Costa. Chez l’artiste italienne [lire nos chroniques de Combattimento, Like flesh et Julie], également en charge de la scénographie et des costumes, le lit de Faust constitue un élément inamovible au centre du plateau, de maigres parties de décors venant compléter l’espace mais sans dissiper l’impression de vide, de plus en plus prégnante.

Le rideau se lève sur l’appartement de Faust, personnage allongé sur le lit et entouré de nombreuses peluches. Pas vraiment un savant qui vit parmi ses livres, il est plutôt un vieil adolescent cloîtré chez lui, casque de musique sur les oreilles, qui dessine sur une feuille scotchée à même le sol. L’appareil radiocassette crachote, entre grésillements et recherche de la bonne longueur d’onde, pour annoncer la Marche hongroise, tandis que le chœur reste invisible, placé à l’arrière d’un rideau. Aucun mouvement n’est à signaler pendant ce moment, sinon Faust qui pique une colère, déchire le papier, balance quelques vêtements et cogne ses nounours.

Il visionne d’anciennes photos de famille projetées sur le mur, puis les cloisons tombent en éventail pour passer à la taverne en compagnie avec Méphistophélès. Dix enfants vrais-faux buveurs, verre de bière en main, miment alors les paroles des choristes restés derrière le rideau. On déroule plus tard de petits tapis fleuris (Voici des roses) pour évoquer la scène en extérieur au bord de l’Elbe… mais toujours dans cet espace restreint autour du lit. Les choristes, s’exprimant jusqu’ici de manière un peu feutrée derrière le tissu, sortent enfin sur le plateau : les hommes sont habillés de blanc et les femmes recouvertes d’un voile rouge qui part d’un chapeau pointu, leur donnant l’allure de crayons bien taillés.

Certaines images font sourire, comme l’entrée en scène de Marguerite qui émerge d’un grand drap noir au sol – Que l’air est étouffant… en effet ! D’autres choix dénaturent l’ouvrage, par exemple lorsqu’on perd la solitude de la jeune femme qui chante sa ballade du roi de Thulé, alors que Faust reste caché sous le lit. Peu de décors donc, un chœur très rarement visible et pas du tout de ballet dans cette production. Mais la configuration change presque complétement pour la dernière des quatre parties, donnée après l’entracte. On découvre avec surprise l’orchestre placé à mi-hauteur en fond de scène. Les robes noires des musiciens, ainsi que la présence d’une petite balance entre les deux percussionnistes, juchées encore plus en hauteur, confirment qu’il s’agit d’un tribunal, a priori pour juger Faust et Marguerite. Le lit est encore présent en contre-bas et la fosse, à présent libre, permet à Faust de s’y jeter pendant la course à l’abîme. Les lumières rouges dominent pour les Enfers. Puis enfin, c’est un Faust jeune qui raccompagne Méphistophélès à une porte posée horizontalement, à même le sol. Marguerite met au lit le garçon, avant que de nombreux doubles investissent le plateau, sans vraiment gommer l’impression d’assister à un spectacle manquant à coup sûr d’ampleur et, par ailleurs, régulièrement nébuleux.

La partie vocale est bien plus satisfaisante avec la somptueuse prise du rôle-titre par Benjamin Bernheim. C’est d’abord sa prodigieuse qualité de diction qui en fait un Faust d’exception, les mots étant ciselés avec une application qui rend totalement inutile la lecture des surtitres. Soignant également l’élégance de la ligne vocale, toutes ses interventions sont de grands moments, entre son premier monologue, le merveilleux Merci, doux crépuscule !, chanté en grande partie allongé à terre, ou bien encore Nature immense, à nouveau admirable. D’une tessiture différente d’un baritenore du type de Michael Spyres, la voix du ténor franco-suisse est homogène sur l’étendue et conserve en particulier un grave naturel et bien exprimé [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk, Œdipus Rex, Salome, Fierrabras, Otello, Manon, Faust, Messa da requiem, Roméo et Juliette puis Werther à Bordeaux et ici-même].

La découverte du mezzo-soprano Victoria Karkacheva, distribué en Marguerite, est une bonne surprise. En plus d’un timbre séduisant et d’une voix qui sait se faire sonore, la bonne qualité de prononciation ajoute encore à ses atouts. En revanche, Christian Van Horn déçoit en Méphistophélès, avec un français assez inégal. L’interprète tient le rôle en scène, impressionnant quand il dirige l’orchestre dans un flot de fumée dense, mais le chanteur ne convainc pas toujours aux deux extrémités de son instrument [lire nos chroniques de Tosca, Tannhäuser, Les Troyens et de Macbet à Genève et à Munich]. Rôle nettement moins sollicité, Brander est assuré avec justesse par Thomas Dolié [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, A midsummer night's dream, L’enfance du Christ, Le Balcon, La traviata, Ariadne auf Naxos, Les Indes galantes, Rinaldo, Phèdre, Béatrice et Bénédict, Phryné, Les Boréades, Carmen et La bohème].

Placé à la tête des Siècles, Jakob Lehmann délivre une lecture qu’on aimerait davantage passionnante de cet ouvrage au cœur du répertoire romantique. Certes, la formation historiquement informée est intrinsèquement moins métallique, moins brillante qu’un orchestre classique, mais le chef semble curieusement vouloir compenser l’éventuel déficit de décibels en faisant jouer ses percussions à fond, parfois à la limite de la démesure pour les timbales et la grosse caisse. Avec des tempi souvent lents par séquences, le rendu de la partition manque régulièrement d’un peu de nerf, d’énergie, de souffle vital. Quand il est placé derrière le rideau, le Chœur de Radio France fait, pour sa part, au mieux pour gérer les départs avec la meilleure précision possible, mais on relève quand même de petits décalages, en particulier pour les différents groupes au cours du tableau de la taverne.

IF