Chroniques

par irma foletti

Caterina Cornaro ossìa La regina di Cipro
Caterina Cornaro ou La reine de Chypre

opéra de Gaetano Donizetti
Festival Donizetti Opera / Teatro Donizetti, Bergame
- 14 novembre 2025
À Bergame, Francesco Micheli met en scène CATERINA CORNARO de Donizetti
© gianfranco rota

Le Festival Donizetti Opera ouvre sa nouvelle édition avec la tragédie lyrique Caterina Cornaro, en première représentation de la version originale. Alors qu’il fut écrit pour le Theater am Kärntnertor de Vienne, l’ouvrage vit sa création annulée dans la capitale autrichienne en 1843, sa première ayant lieu l’année suivante dans une version révisée, avant de nouvelles modifications pour les représentations de Parme, en 1845. Il est à noter que cet opéra est le dernier créé du vivant de Donizetti (1797-1848) et qu’il relève évidemment de sa meilleure période de maturité.

Montée en coproduction avec le Teatro Real de Madrid, la mise en scène de Francesco Micheli [lire nos chroniques d’Il killer di parole, Adriana Lecouvreur, Lucia di Lammermoor, Aida, L’ange de Nisida ici-même, Medea in Corinto et L’aio nell’imbarazzo] est loin de recueillir une ovation, à l’écoute de la bronca au rideau final. Les tableaux successifs vont et viennent entre deux époques, soit Venise et Chypre au XVe siècle et nos temps actuels, majoritairement dans un hôpital pour cette dernière période. Deux parois en angle formant un L constituent le principal élément de scénographie de Matteo Paoletti Franzato. Avec ses colonnes et ses arches, l’intérieur caractérise la Venise ancienne, magnifiée par les somptueux costumes d’Alessio Rosati [lire notre chronique de Beatrice di Tenda] ; l’extérieur montre le couloir aseptisé d’une clinique de notre siècle, les trois sièges contre le mur figurant la salle d’attente. Ces cloisons reçoivent aussi régulièrement les vidéos de Matteo Castiglioni, souvent des phrases illustrant la vision du metteur en scène et de son dramaturge Alberto Mattioli.

Deux histoires se déroulent en parallèle. Celle de la Caterina d’aujourd’hui qui se marie : la joie est de courte durée quand son époux, pris d’un malaise, est emmené à l’hôpital – il est vrai que Caterina Cornaro est aussi mariée, de force quant à elle, à Lusignano roi de Chypre, déjà empoisonné selon les plans des Vénitiens afin de prendre le contrôle de l’île. On ne sait pas s’il s’agit d’un flash-back de plusieurs siècles ou si l’actuelle Caterina s’identifie à la Cornaro historique, mais la proposition s’accompagne de quelques désagréments et de moments qui tendent vers l’absurde. Ainsi des bruits de machine industrielle remplacent-ils les premières mesures, pendant qu’une voix off récite Mio marito è molto malato. Les textes projetés s’avèrent souvent redondants avec l’action, comme Anch’io sono incinta alors que les deux Caterina sont, de manière évidente, enceintes, jouées ce soir sans doublure par le soprano Carmela Remigio. La guerre finale entre Chypriotes et Vénitiens donne, elle aussi, lieu à une interprétation toute personnelle : Gerardo enfile une blouse de chirurgien pour opérer Lusignano mourant, scalpel à la main au lieu d’épée, pour mener une bataille chirurgicale. Malgré ces efforts, le roi décède et, dans la salle d’attente, Caterina trouve du réconfort à serrer la main de Mocenigo et à poser la tête sur son épaule – Mocenigo, le vrai méchant de l’histoire.

La musique et les voix rattrapent la partie théâtrale.
En tête, le soprano Carmela Remigio dont l’engagement vocal et scénique est complet. Les récitatifs présentent un beau relief dramatique [lire nos chroniques d’Idomeneo, Il castello di Kenilworth, Anna Bolena, Ecuba, La donna serpente, Lucrezia Borgia, Requiem et Griselda]. On apprécie sa musicalité, par exemple au cours de son doux air du prologue, Vieni o tu, che ognora io chiamo, un passage élégiaque accompagné par la harpe sur une petite épaisseur orchestrale, avant une cabalette maîtrisée, au rythme toutefois raisonnablement impulsé par la fosse. Son aimé Gerardo est le ténor Enea Scala, qu’on se rappelle avoir entendu dans ce même rôle lors d’une représentation de concert dans le cadre du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon [lire notre chronique du 22 juillet 2014]. Onze ans plus tard, les moyens du ténor sicilien sont toujours abondants, ainsi que l’enthousiasme généreux. Ses longs duos avec Caterina sont de bons moments, ainsi que les airs, comme celui du début de second acte, Io trar non vogio campi ed onori, aux échos de Lucia di Lammermoor, délivrant un chant vigoureux, voire athlétique quand il est projeté avec force [lire nos chroniques de La vera costanza, Mosè in Egitto, La Juive, Maria Stuarda, Armida, Viva la mamma, Le duc d’Albe, Semiramide, Guillaume Tell, Otello (Rossini), Ermione et Wozzeck]. En Lusignano, Vito Priante, baryton très noble et riche de timbre, au legato soigné dans la conduite de sa ligne de chant, fait excellente impression. Sa cavatine du premier acte, Da che a sposa Caterina, en est un exemple admirable, une vraie leçon de beau chant [lire nos chroniques de David, Don Giovanni, Berenice, Motezuma, Il Flaminio, Les contes d’Hoffmann, Iolanta, L’ange de Nisida à Londres, Adina, Capriccio, Lucie de Lammermoor et Il viaggio a Reims]. La basse Riccardo Fassi possède le grain noir du sombre Mocenigo, émettant régulièrement un chant autoritaire et glaçant, même si le grave le plus profond reste moins sonore [lire nos chroniques d’Il pirata, Demetrio e Polibio, Andrea Chénier, Adelaide di Borgogna et La battaglia di Legnano]. L’autre basse, Fulvio Valenti, fait entendre un instrument puissant mais au vibrato parfois accentué, qui sied finalement bien à Andrea Cornaro, le père de l’héroïne. Le ténor Francesco Lucii complète dans le rôle de l’inquiétant Strozzi, ainsi que Vittoria Vimercati dans la partie plus épisodique de Matilde.

Depuis cette année directeur artistique et musical de la manifestation, Riccardo Frizza est aux commandes des musiciens très appliqués de l'Orchestra Donizetti Opera. Le chef italien [lire nos chroniques d’Un ballo in maschera, I Capuleti e i Montecchi, Otello (Verdi), Norma, Falstaff, L’elisir d’amore, La favorite, Il diluvio universale et Attila] anime la partition par des tempi plutôt lents et une certaine retenue dans les nuances, pendant la première partie de la représentation. Par la suite, les contrastes semblent bien plus marqués, laissant la phalange prendre davantage d’ampleur mais toujours en veillant à ne pas mettre les solistes en difficulté. Le Coro dell’Accademia Teatro alla Scala est également bien en place, les parties féminine et masculine s’exprimant de manière séparée selon les numéros. Tout comme Gerardo, c’est aussi bistouri en main que les choristes apparaissent pour la bataille entre Vénitiens et Chypriotes.

IF