Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
Luisa Miller

1 DVD Arthaus Musik (2013)
101 688
Michael Güttler joue "Luisa Miller" (1849), opéra de Verdi, à Malmö

Le 27 janvier 1849, au Teatro Argentina (Rome), Giuseppe Verdi présente La battaglia di Legnano, un ouvrage fondé sur la défaite de l’empereur allemand Barberousse face à la Ligue Lombarde (1176). Chaque spectateur saisit le parallèle avec l’actuel envahisseur autrichien, dans une Italie en quête d’unité, et acclame le musicien. Déjà celui-ci songe à se remettre au travail, d’autant qu’il lui faut honorer son contrat napolitain d’un ouvrage inédit. Faisant preuve d’un enthousiasme patriotique inaltérable, Verdi prévoit d’adapter L’assedio di Firenze (1836), roman historique de l’homme politique et écrivain Francesco Domenico Guerrazzi (1804-1873). Mais c’est compter sans le comité de censure qui estime ce livre d’un auteur déjà plusieurs fois emprisonné, quoique juriste lui-même, bien trop sulfureux pour donner son accord.

« Dans son état d’esprit actuel, il souhaite un drame bref, avec beaucoup de mouvement et de passion », assure Jacques Bourgeois (in Giuseppe Verdi, Julliard, 1978). Verdi songe au Roi s’amuse, à Falstaff, Intrigue et amour… Salvadore Cammarano, son librettiste, l’oriente définitivement vers cette dernière, une pièce de théâtre en cinq actes signée Friedrich von Schiller (Kabale und Lieben, 1784), représentative du drame bourgeois et du courant Sturm und Drang opposé aux conventions sociales et morales qui brident l'épanouissement de la personne. Le maestro connaît bien ce proche de Goethe dont il a déjà exploré la veine épique et romanesque, pour Milan (1845) et Londres (1847) [lire nos critiques de Giovanna d’Arco et I masnadieri]. Entre août et octobre 1849, il met donc en musique l’histoire d’amour tragique entre Ferdinand von Walter et Louise Miller, rétive au jeu d’alliances, qui incarne le conflit entre la bourgeoisie et la noblesse à la fin du XVIIIe siècle. Luisa Miller est créé au Teatro San Carlo (Naples), le 8 décembre 1849. Si d’aucuns – surtout après la création française de 1852 – reprochèrent à Verdi d’avoir édulcoré la portée politique du livre original, d’autres saluèrent au contraire sa nouvelle manière d’approfondir les caractères, de cerner l’âme humaine.

Notre intérêt est d’autant plus grand pour cette production suédoise de décembre 2012 que l’ouvrage est moins donné que la fameuse trilogie ayant assuré la renommée de Verdi, dans la seconde moitié du XIXe siècle – Rigoletto (1851), Il trovatore et La traviata (1853). En accord avec Cammarano qui transposa l’intrigue d’une cour princière vers un village tyrolien, Stefano Vizioli déroule sur le plateau une large bande d’herbe verte, pour une fête d’anniversaire tout à fait bucolique. Mais deux mains sculptées, gigantesques, en tiennent fermement chaque extrémité, faisant bientôt apparaître une déchirure d’où surgit Wurm, comme un diable de l’enfer. Au dernier acte, l’une de ces dominatrices saisira le logis des Miller pour le broyer. Avec l’aide de Cristian Taraborrelli (décor) [lire notre chronique de L’elisir d’amore] et d’Anna Maria Heinreich (costumes), Vizioli signe une mise en scène des plus lisibles, qui va à l’essentiel [lire nos chroniques de Motezuma, Il barbiere di Siviglia, Le prophète et La Dori].

Dans le rôle-titre, on apprécie la grâce, la fiabilité et la conduite vocale irréprochable d’Olesya Golovneva, par ailleurs très investi dramatiquement [lire nos chroniques des Huguenots, d’Otello et de Simon Boccanegra]. Luc Robert (Rodolfo) lui répond d’un ténor robuste. Incarnant deux aspects de la paternité, l’une aimante et l’autre oppressive, le baryton Vladislav Sulimsky (Miller) possède un phrasé onctueux et un legato nourri, face à Taras Shtonda (Walter), basse profonde au chant efficace [sur le premier, lire nos chroniques d’Eugène Onéguine à Paris puis à Malmö et de La dame de pique ; lire celles de Rouslan et Lioudmila et de la Symphonie Babi Yar pour le second]. Saluons également la voix longue et sonore de Lars Arvidson (Wurm), les interventions d’Ivonne Fuchs (Federica), Emma Lyrén (Laura) et Eric Lavoipierre (un paysan), de même que le tonique Malmö Operakör. Fort suave, l’orchestre maison est placé sous la direction de Michael Güttler qui allie rondeur et ciselure dans un geste confortable [lire notre chronique de Don Giovanni].

LB