Chroniques

par laurent bergnach

Gaetano Donizetti
Il borgomastro di Saardam | Le bourgmestre de Saardam

1 DVD Dynamic (2018)
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Roberto Rizzi Brignoli joue "Il borgomastro di Saardam", opéra de Donizetti

Le 16 décembre 1696, le tsar Pierre Ier, plus connu sous le nom de Pierre le Grand (1672-1725) annonce vouloir se mettre en route avec la Grande Ambassade qu’il vient de former. Son but est de nouer des alliances en Europe, afin de combattre l’Empire Ottoman, mais aussi de connaître mieux les coutumes de ses peuples (savoir-faire, médecine, etc.), avec l’intention de moderniser son royaume au retour. Sous un nom d’emprunt, le souverain se forme à différents métiers (artilleur, charpentier, etc.), au cours des dix-huit mois que dure le voyage (Riga, Hanovre, Amsterdam, Zaandam, Londres, Dresde, etc.). À la veille de découvrir Venise, il rejoint Moscou pour y réprimer une révolte militaire, celle des streltsy, sans doute initiée par sa demi-sœur Sophie qu’il envoie au couvent.

Plus d’un siècle plus tard, le 2 juin 1818, on présente au Théâtre de la Porte Saint-Martin une comédie héroïque à grand spectacle, Le bourgmestre de Saardam ou Les deux Pierre (trois actes), signée par Anne-Honoré-Joseph Duveyrier (dit Mélesville), Jean-Toussaint Merle et Jean Bernard Eugène Cantiran de Boirie – le premier est connu pour ses futures collaborations avec Scribe pour Auber (Léocadie, 1824) et Adam (Le chalet, 1834). À lire ce qu’en retire Domenico Gilardoni dans son livret en deux actes destiné à Donizetti, il semble que le trio français connaissait bien l’épisode de la Grande Ambassade.

Aux Pays-Bas, dans les chantiers navals de Saardam, Pierre le Grand travaille comme charpentier sous le nom Pietro Mikaïlov, déguisé tout comme son comparse, le général Leforte. Tandis qu’on attend la visite du maire Wambett, père de Carlotta et tuteur de Marietta, l’empereur recueille les confidences inquiètes de Pietro Flimann : c’est un déserteur russe, amoureux de la pupille. Marietta arrive alors, et avoue à Flimann des sentiments partagés. Mais pour les amoureux, tout déraille : lui est pris pour le tsar qu’on recherche, quand elle doit faire face à la demande en mariage du maire. Pourtant, à l’heure de repartir d’urgence vers Moscou, le tsar pardonne publiquement la désertion de Flimann et le nomme amiral de la flotte – lui permettant ainsi d'épouser Marietta.

Le melodramma giocoso fut donné d’abord au Teatro del Fondo (Naples), le 19 août 1827, mais notre spectacle s’appuie sur la version milanaise, présentée le 2 janvier 1828 à la Scala. Il a été filmé au Teatro Sociale de Bergamo, ville natale du compositeur, durant le fameux festival Donizetti Opera, le 24 novembre 2017. Davide Ferrario le présente avec peu d’éléments de décors (Francesca Bocca), mais des costumes soignés (Giada Masi). En fond de scène, un écran géant permet l’apparition d’ombres chinoises (gags burlesques, etc.) ou la projection d’images sans doute empruntées à Eisenstein. Le résultat est plaisant, mais s'oublie vite.

Parmi les artistes vocaux se distinguent le baryton Giorgio Caoduro (Tsar), vaillant et corsé [lire nos chroniques de L’arbore di Diana, La grotta di Trofonio et Falstaff à Parme], et le ténor Juan Francisco Gatell (Flimann), au chant souple et bien conduit [lire nos chroniques de Don Pasquale et de Falstaff à Aix-en-Provence]. Andrea Concetti (Wambett) possède la nuance qu’il convient à un personnage public embarqué dans des affaires de cœur [lire notre chronique de L’incoronazione di Poppea]. On aime aussi l’efficace Pietro Di Bianco (Leforte) [lire nos chroniques de Le convenienze ed inconvenienze teatrali, Didone abbandonata, Che originali! et La Dori] et Pasquale Scircoli (Ali) à la tendre sonorité. Irina Dubrovskaïa (Marietta) se distingue par une agilité certaine, d’une ampleur cependant moindre que sa consœur Aya Wakizono (Carlotta) [lire nos chroniques de La pietra del paragone, Il viaggio a Reims et Il barbiere di Siviglia]. Communauté de Saardam oblige, le chœur du festival est présent également, préparé par Fabio Tartari. Enfin, félicitons Roberto Rizzi Brignoli, en fosse avec l’Orchestra Donizetti Opera, pour sa direction limpide et vive [lire nos chroniques de La Cenerentola, Norma, Falstaff à Massy, La bohème et Anna Bolena].

LB