Chroniques

par bertrand bolognesi

Présences Wolfgang Rihm – épisode 2
création mondiale de Trois aquarelles de Márton Illés

Studio 104 / Maison de Radio France, Paris
- 13 février 2019
à Radio France, création mondiale de Trois aquarelles de Márton Illés
© astrid karger

Le deuxième rendez-vous de Présences, le festival de création de Radio France, permet de retrouver Court-circuit et son chef Jean Deroyer, dans un programme qui, tout en s’inscrivant dans le portrait de Wolfgang Rihm, présente deux commandes à de jeunes compositeurs. Dans la lumière méthyle bleu berçant le Studio 104, dix musiciens (flûte contrebasse en ut, cor anglais, clarinette basse en si, harpe, piano, percussion, violon, alto, violoncelle et contrebasse) prennent place et poursuivent l’exploration du corpus Rihm [lire notre chronique de la veille] avec Blick auf Kolchis (Regard sur Kolchis), une page créée le 25 octobre 2002 à la Fondation Beyeler (Bâle) par l’ensemble Recherche. En 1991 naissait Kolchis, quintette inspiré par une sculpture de l’Autrichien Kurt Kocherscheidt (1943-1992), The Boys from Kolchis, alors exposée au Secessionsgebäude de Vienne. Quelques années après le décès de son ami plasticien, le compositeur en retravaillait le matériau dans Frage (Question). Cette base servit encore dans d’autres œuvres, dont celle donnée aujourd’hui en création française, dédiée à l’historien de l’art Gottlieb Boehm. La flûte contrebasse et le violon l’ouvrent dans une douceur proche du souffle. Une amorce mélodique structure la suite, d’une détente assez crue, dont la flûte demeure l’officiant discret. L’aspect percussif est décliné dans des sonorités chaleureuses dont, sans déroger à la méditation, les rares incises plus dures semblent rappeler quelque souvenir archaïque – la terre des Amazones, de la Toison d’or, de Médée, etc.

Salué il y a deux ans, lors des Donaueschinger Musiktage, par le Prix du Südwestrundfunk Sinfonieorchester pour Ez-tér qui déjà retenait notre écoute [lire notre chronique du 22 octobre 2017], Márton Illés [photo] captive avec Trois aquarelles pour flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle, piano et percussion. Il s’agit d’une commande de Radio France, ici jouée en création mondiale. Hongrois, Illès (né en 1975) s’en alla parfaire son art en Suisse puis en Allemagne, auprès de Wolfgang Rihm dont il parle avec un respect affectueux. Son projet s’attache à des « textures transparentes, aux couleurs pastel […], des gestes et des bruits brefs […] qui découlent de réactions psychophysiques du corps humain comme un large éventail de vibrations musculaires » (brochure de salle). La première aquarelle survient dans une attaque minimale presque sifflée, à la périphérie de la vibration. Un glissando plus affirmé de la clarinette induit l’entrée dans une dimension sonore plus habituelle comme référent qui fait mieux percevoir ce que la pièce développe dans l’infiniment petit. La précision de l’écriture fascine, du moindre timbre et jusqu’au silence, au fil d’évènements furtifs qui, sans répétitivité, vont s’accumulant en des salves soudain concentrées. Le mouvement médian, nerveux, fait bondir des presque rien dans l’alentour volubile de la clarinette que sculpte une percussion omniprésente. Une grande énergie rassemble bientôt tous les media dans un crescendo-accelerando frémissant dont quelques restes se suspendent dans la résonnance cultivée en final. À ce signe puissant succèdent d’épars bruits de clés, gazouillis, gratouillis, divers petits sons qui ne contraignent pas le souffle d’un duo en relais (flûte et clarinette), énigmatique et caressant tel un Glaßharmonica. L’envoûtement est conclu par le frottement succinct des cordes du piano, clavecin fugitif. Une puissante personnalité musicale habite cette création, sans conteste LA raison pour laquelle il fallait venir à ce concert, qui invite à suivre assidument Márton Illés.

L’œuvre suivante n’entre assurément pas dans si noble catégorie. La compositrice singapourienne Diana Soh (née en 1984) propose Modicum pour hautbois, clarinette, violon, alto, violoncelle, contrebasse et percussion, également en création mondiale (commande d’État) – on est tenté d’ajouter s à création et mondiale puisque Modicum est joué à deux reprises, une première fois dans l’ordre indiqué par la partition, puis, après l’entracte, dans un ordre qui résulte du vote du public (sur une application dédiée téléchargeable sur les téléphones mobiles ou sur les tablettes qui circulent à l’entracte), selon une conception assez pauvrette de l’interaction. Sans doute paraîtra-t-il superflu de préciser qu’en début de seconde partie la version du public ne rehausse en rien la pauvreté du propos (encore s’estime-t-on heureux qu’on n’en propose point de troisième).

Diplômé de l’académie de musique de Kaustinen, ville de la côte centre-ouest de la Finlande, bordée par le golfe de Botnie, Sampo Haapamäki (né en 1979) étudia la composition à Helsinki, Leipzig et New York, avant de rejoindre le cursus de l’Ircam où nous le découvrions il y a six ans [lire notre chronique du 13 avril 2013]. Commandé par l’institution parisienne – qui, contrairement à Radio France grâce auquel nous couvrons ce festival par-delà les sautes d’humeur de l’agence de presse sous contrat, se soumet au diktat de son prestataire de service en n’accueillant pas notre équipe [ndr] –, où il fut construit pendant neuf semaines,et le festival Musiikin aika de Viitasaari qui le créa le 5 juillet 2018, IDEA pour flûte (avec piccolo), clarinette (avec clarinette basse), trompette, trombone, percussion, harpe, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et électronique affirme une réflexion expérimentatricede l’exécution en temps réel assistée d’une intelligence artificielle, en s’inspirant d’un dispositif ludique mis à disposition du public par l’Haus der Musik de Vienne, approché au printemps 2017 : « muni d’une baguette de chef d’orchestre, le visiteur pouvait diriger les Wiener Philharmoniker virtuels qui apparaissaient à l’écran, selon le rythme de son choix. […] Cette expérience faite dans un musée a renforcé l’idée d’utiliser la détection de mouvement de chef d’orchestre avec des signatures rythmiques changeantes et des situations de concert en direct » (même source). Un capteur est placé sur le poignet de Jean Deroyer qui, via l’enregistrement préalable de sa gestuelle, stimule les modules informatiques composés pour cette œuvre mixte en trois mouvements. Durant cette demi-heure haletante, on décèle une narration dans le voyage des timbres, la richesse de l’invention sonore, à travers plusieurs strates structurées par une technologie extrêmement complexe. Le lecteur retrouvera ce concert à l’antenne de France Musique le mercredi 20 février.

BB