Chroniques

par gilles charlassier

Présences Wolfgang Rihm – épisode 1
création mondiale d'Atomization, Loop and Freeze de Martín Matalon

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 12 février 2019
Ouverture du festival Présences à la Maison de Radio France
© christophe abramowitz | radio france

Consacrée à Wolfgang Rihm, selon la logique du portrait qui prévaut le plus souvent depuis les débuts en 1991, la vingt-neuvième édition de Présences à Radio France est inaugurée par un concert associant le piano et les percussions, emmené par l'un des artistes en résidence de la saison, Bertrand Chamayou – notre équipe est ravie d’enfin retrouver la manifestation française, grâce à la précieuse complicité de l’institution elle-même, par-delà l’ostracisme absurde que l’agence chargée de la presse exerce à l’encontre de notre rédaction depuis deux éditions [ndr].

Le pianiste français ouvre la soirée en solo, avec Klavierstück n°5 du compositeur allemand [photo], pièce de jeunesse se substituant à la commande que ce dernier ne put achever – sa santé vacillante l'a, au demeurant, tenu éloigné de Paris malgré cette programmation en son honneur. Sous-titrée Tombeau et dédiée à Herbert Henck, la page saisit par un fortissimo liminaire s'évanouissant en un point d'orgue de près d'une minute, avant de développer une virtuosité où flux mélodiques et harmoniques se modèlent de manière solidaire avec l'immersion dans la matière instrumentale. Si l'empreinte de Ligeti semble évidente, le traitement quasi rhapsodique n'est pas sans évoquer le Liszt de la maturité. Sans se réduire à un opportunisme herméneutique qui s'appuierait sur un pèlerinage renouvelé, la présente lecture met en évidence une veine romantique germanique et un sens intime de la forme qui, pour être classique, ne résonne ni daté, ni académique.

La conception de L'Éclair d'après Rimbaud d’Hugues Dufourt, pour deux pianos et deux percussionnistes, donné ici en création française (cinq ans après le baptême à la Philharmonie de Berlin), témoigne d'un instinct musical différent où l'exploration hédoniste des timbres et du matériau sonore prend le pas sur la construction. La lecture introductive du poème source par le pianiste Sébastien Vichard, d'une fluidité parfois discutable, n'éclaire sans doute qu'accessoirement le propos de l'œuvre. Superposant les évolutions respectives des percussions et des pianos, le parallèle, presque en imitation entre les deux pôles, se complexifie au gré de diminutions rythmiques des claviers, avant de s'acheminer vers les confins du silence.

Après l'entracte, Refrain de Stockhausen (1959) double chacun des trois interprètes – Bertrand Chamayou au célesta, Vanessa Benelli Mosell au piano et Florent Jodelet aux percussions – par un adjuvant percussif en guise de ponctuation régulière ad libitum. Comme souvent chez l'auteur de Licht, la fascination rituelle prédomine, reléguant le contenu et son articulation à un support performatif au format non déterminé absolument, ce que les trois pupitres ne cherchent pas à démentir, face au graphisme circulaire des partitions.

Mais c'est la commande passée par Radio France à Martín Matalon, donnée en première mondiale sous la baguette du compositeur, qui éclaire la cohérence du programme de la soirée, faisant naviguer l'identité percussive entre les instruments référencés comme tels et les cordes frappées de l'ivoire blanche et noire, dans une dialectique entre le morcellement de l'attaque et la continuité du phrasé. Séquencés en sept parties contrastantes qui n'égarent jamais l'auditeur, Atomization, Loop and Freeze pour trois pianos et trois percussions déploie une riche palette d'effets, chatoyant l'oreille sans disperser la logique entropique de l'ensemble. Ainsi chacun des épisodes affirme-t-il une tonalité matérielle reconnaissable – l'évanescence de la table harmonique effleurée, la compacité mate du bois... La péroraison de la sixième partie, véritable feu d'artifice de rythmes et de couleurs, aurait pu conclure avec un éclat festif ; l'apaisement de la coda, revenant aux prémisses initiales, ne se départit pas entièrement d'une impression d'artifice formel – sans pour autant compromettre la maîtrise et l'inspiration de la pièce de la soirée qui conservera, vraisemblablement, la meilleure empreinte imaginaire et mnésique.

GC