Chroniques

par laurent bergnach

Présences Wolfgang Rihm – épisode 3
création mondiale de Circonstances de la nuit d’Yves Chauris

Studio 104 / Maison de Radio France, Paris
- 14 février 2019
Le pianiste Nicolas Hodges joue Berio, Chauris, Gagneux, Rihm et Saunders
© eric richmond

À travers son festival Présences, pour la vingt-neuvième année, Radio France soutient la musique d’aujourd’hui, à défaut de quoi l’institution serait responsable « d’une forme de suicide culturel », pour reprendre les mots de Pierre Charvet, son délégué à la création musicale. La critique musicale participant, qu’on le veuille ou non, à la vulgarisation des courants et personnalités qui élaborent un art toujours mieux salué au lendemain de son émergence, il faut remercier Radio France d’avoir reçu notre média – alors même que l’agence de presse contractée par la manifestation le jugeait ni nécessaire ni utile [ndr].

Connu pour des travaux qui mettent en avant la voix – notamment grâce son épouse, Cathy Berberian [lire notre chronique du 29 novembre 2009] –, Luciano Berio (1925-2003) l’est aussi pour les quatorze perles du collier Sequenze. Celles-ci furent polies une grande partie de sa vie (de 1958 à 2002), avec l’idée d’associer une virtuosité héritière du passé aux conceptions contemporaines de la musique pour soliste. Dédié à l’instrument chéri des romantiques et à sa créatrice Jocy de Corvalho, Sequenza IV (1966) est présenté par son auteur comme « un voyage d’exploration à travers les régions inconnues et connues de la couleur et de l’articulation instrumentale ». Ce voyage commence par des piétinements dans le médium, saccadés, qui élaborent un début de course où des arrêts fréquents signalent moins l’empêchement que le désir d’orientation. Sous les doigts agiles de Nicolas Hodges, on redécouvre cette page aride et foisonnante.

Grâce au piano familial de son enfance brestoise, Yves Chauris (né en 1980) découvre sa pleine essence artistique, confiée en ces termes : « déchiffrer, improviser, conserver par l’écrit ces improvisations : composer fut pour moi un itinéraire naturel » (brochure de salle). Les touches noires et blanches, sur lesquelles il joua Mozart pour une audition de conservatoire, lui inspirèrent déjà une Sonate (2007), que suit aujourd’hui une seconde, Circonstances de la nuit, donnée en création mondiale. Sous ces mots de Pierre Reverdy, poète passé de Montmartre à Solesmes, on entend des climats liés à une présence nocturne jamais menaçante mais tendue : carillonnement de l’extrême aigu invitant un au-delà étrange, vrombissement grave aux accents de tonnerre, vertige en spirale plongeant dans un cauchemar insidieux, glas d’une marche semi-funèbre, etc. Ouf, aucune toux du public n’ébrèche ce moment raffiné !

Dans nos pages, Rebecca Saunders (née en 1967) fut qualifiée de « personnalité musicale incomparable, par l’imagination comme pour l’intelligence » [lire nos chroniques de Triptychon, Still, Fletch, Stirring Still, Fury II, Yes et Blue]. Alors qu’il dévoilera l’an prochain, à Lucerne, un nouveau concerto de sa compatriote, le pianiste londonien joue ici crimson (2005) – pièce créée par le fondateur du festival Klangspuren [lire notre chronique du 9 septembre 2018], encore entendue dernièrement [lire notre chronique du 5 février 2019]. Ce grand quart d’heure refuse la méditation, ouvert par des accords campanaires lumineux et tranchants. Implacables et fébriles, les mains s’attardent à l’est du clavier, l’une pépiant tandis que l’autre cogne le bois, quand elles ne frôlent pas directement les cordes. Le pied et l’avant-bras s’imposent aussi, avec vigueur. Pourtant, un dénouement presque éthéré se dessine, comme un endormissement.

Disparu il y a un peu plus d’un an, Renaud Gagneux (1947-2018) laisse au piano des pages au titre faisant supposer la brièveté, telles Douze haïkus, Trois derniers haïkus de Buson, ou encore Six haïkus de Issa, édité en 2007. On est sensible à cet enchaînement de miniatures variées, d’une couleur japonaise discrète, mais dont on peut regretter le maniérisme, au terme d’une première écoute. Le concert s’achève avec Wolfgang Rihm (né en 1952), dont la création d’un nouvel opus justement pianistique ne put inaugurer le portrait que lui consacre Présences, du 12 au 17 février [lire nos chroniques de l’avant-veille et de la veille]. Consolons-nous avec Zwei Linien (2012), dédié à Nicolas Hodges [photo], virtuose désormais familier de sa solide architecture qui invite Bach, Webern et Stockhausen.

LB