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Chroniques
extraits du Ring
Anja Kampe, Philippe Jordan
Avec deux nouvelles productions et les reprises de deux anciennes par des plateaux vocaux très convoités, la rentrée de l’Opéra national de Paris, par-delà l’ombre portée par le rapport de la Cour des comptes (rendu public hier), bat son plein : Pretty Yende, Piero Pretti et Artur Ruciński dans Lucia di Lammermoor à partir du 14 octobre (Andrei Serban, 1995), Anja Harteros, Marcelo Álvarez et Bryn Terfel dans Tosca dès le 17 septembre (Pierre Audi, 2014), pour les reprises ; quant aux premières, le 4 octobre celle du trop rare Samson et Dalila, mis en scène par Damiano Michieletto, (avec Anita Rachelishvili et Aleksandrs Antonenko), enfin l’entrée au répertoire, fort attendue, d’Eliogabalo de Francesco Cavalli, confié aux jeunes Thomas Jolly et Leonardo García Alarcón, demain soir. C’est pourtant avec un concert de son orchestre que la maison lève aujourd’hui le rideau de sa saison.
Le goût de Philippe Jordan pour la musique de Wagner n’est un secret pour personne. Outre de nombreuses représentations de plusieurs de ses ouvrages de par le monde, il dirigeait in loco la reprise des Meistersinger salzbourgeois cette année [lire notre chronique du 1er mars 2016] et, surtout, menait plusieurs cycles complets du Ring de Günter Krämer, dont nous nous fîmes amplement l’écho [lire nos chroniques de Rheingold, les 13 mars 2010 et 4 février 2013, de Walküre les 31 mai 2010 et 17 février 2013, de Siegfried les 1er mars 2011 et 29 mars 2013, enfin de Götterdämmerung les 3 juin 2011 et 3 juin 2013]. Avant que de jouer Lohengrin en janvier prochain, le directeur musical de notre première scène lyrique prépare son orchestre avec ce programme d’extraits symphoniques de la Tétralogie.
C’est malheureusement devant un parterre relativement égaillé que sonnent les fameux Leitmotive… L’offre parisienne serait donc si foisonnante, ce jeudi soir ? Ce n’est sans doute pas un ballet contemporain avenue Montaigne qui vide la Bastille, pas plus que l’éternel et luxueux chantier de la porte de Pantin dont, trois jours durant, les portes demeurent closes. La rentrée de l’Orchestre national de France, peut-être ? Renseignement pris auprès de notre collègue, l’auditorium accuse au même moment comparable désaffection [lire notre chronique du jour]. Il faut donc chercher ailleurs les raisons de cette alarmante désertification des salles de concerts, vraisemblablement non liée au contenu des programmes proposés ni à l’affiche qu’ils convoquent.
Toujours est-il que Wagner est au rendez-vous, lui.
Philippe Jordan commence naturellement par le Vorspiel de Rheingold dont on entend trop les cuivres. L’orchestre est sur scène, ceci explique cela ; c’est l’occasion de révéler d’autres aspects de cette page, il revient à l’auditeur d’en admettre le pari en tâchant de défaire ses oreilles des habitudes qu’elles prirent avec l’œuvre. On regrette toutefois que le pupitre soudain à découvert n’affirme pas meilleure forme. Si l’arrivée des cordes ne donne aucune idée de la naissance des flots, une aube plutôt intéressante en éclaire l’enfouissement. Les interludes de L’or du Rhin s’enchaînent au fil de caractères plus dramatiques qu’avec une gestuelle fort élégante le chef tisse avec soin. On gardera de ce premier résumé le somptueux duo hautboïstique des excellents Philippe Giorgi et Philibert Perrine.
De La Walkyrie nous goûtons, après une Chevauchée de bon aloi, une Incantation du feu d’une singulière finesse, conjuguant en chaque détail présence impérative et grâce absolue. Plus encore, les Murmures de la forêt empruntés à Siegfried concluent dans une ciselure inspirée la première partie. C’est très nettement à partir de cet épisode que le concert prend son envol. Entièrement concentré sur la Götterdämmerung, le retour d’entracte ne le dément pas : chatoiements schrekériennes et volutes debussystes montrent le bout du nez dans l’indicible raffinement et la souplesse édénique insufflés par Philippe Jordan au Voyage de Siegfried sur le Rhin. Sans pathos ni froide distance, la Marche funèbre avance, poignante, en sa douloureuse dignité. Loin d’en surligner la solennité, Jordan élégit l’Immolation de Brünnhilde dans une élévation proprement métaphysique. Et quelle Brünnhilde ! On retrouve l’onctuosité de timbre d’Anja Kampe, wagnérienne maintes fois saluées dans nos colonnes [lire nos chroniques du 26 juillet 2007, du 4 juillet 2011, du 12 mars 2013 et du 13 juin 2014, entre autres, ainsi que notre critique du CD Die Gezeichneten].
BB