Chroniques

par bertrand bolognesi

Die Walküre | La walkyrie
opéra de Richard Wagner

Budapesti Wagner Napok / Művészetek Palotája, Budapest
- 13 juin 2014
Chevauchée des walkyries : un Ring au MÜPA, Budapesti Wagner Napok 2014
© jános posztós | művészetek palotája

C’est un Ring parfaitement conforme à la volonté du compositeur que présente le Budapesti Wagner Napok, en ce qu’il en fait se succéder les épisodes sur quatre soirs, suspendant le public dans l’attente quotidienne d’une suite à venir. Après un Rheingold prometteur dont nous frappait la profuse inventivité, Hartmut Schörghofer – toujours en collaboration avec la chorégraphe Teresa Rotemberg, les vidéastes Torge Moller et Momme Hinrichs (fettFilm), sous les lumières d’Andreas Grüter – ouvre en douceur la première des trois Journées, comme une halte posée après son Prologue tous azimuts.

Caméra sur l’épaule, la montagne oscille dangereusement pour la course éperdue du Wälsung, sous une neige drue dont bientôt les flocons collent la paroi vitrée de ce que nous appelons « aquarium-écran » [lire notre chronique de la veille]. Car bien évidemment, le dispositif décrit n’a pas changé ; c’est celui de toute cette Tétralogie, quoi qu’il advienne. Outre l’intervention de semi-marionnettes, à l’instar des Géants – ici faces de chiens et de loups (Siegmund, fils du Wolf, et Hunding, comme son nom l’indique assez), têtes de corbeaux là, actionnées par des perchistes au-dessus du miroir, enfin visages chevalins pour le fameux moment des huit guerrières –, et de quelques images évocatrices – alpages cédant la place aux ruines d’une ville dévastée par la guerre (« das Ende », souhaite Wotan), envol noir, boyau souterrain qu’on jurerait abri de fortune, mais encore projection de corps qui tournoient dans un espace indéfini –, par-delà la danse (d’ailleurs toujours bien amenée) c’est surtout la présence d’une certaine silhouette rouge qui fait sens : ainsi Loge veille-t-il. Il tire telle ficelle et allume les feux, s’employant in absentio ohne Stimme ») à générer un nouvel ordre au monde. La scénographie s’édifie sur cette idée forte.

Toutefois, l’absence de direction d’acteurs désincarne considérablement un spectacle qui repose essentiellement sur le métier de chaque chanteur. Certes, le contresens musical s’en trouve immanquablement évité, mais la lecture générale demeure d’une littéralité naïve proche du cartoon qui ne satisfait guère, si conscient soit-on du concept ici mis en œuvre (l’entre-deux du concert mis en espace). Encore le dispositif scénique accuse-t-il déjà ses limites, quand ce n’est l’inconfort de ses dimensions, au péril des artistes.

Pour chanter, l’on y chante, assurément, et dès un premier acte de fort belle tenue ! Loge hier, on retrouve Christian Franz en Siegmund. Depuis son apparition au MÜPA en Parsifal, le ténor bavarois répond présent d’année en année au festival hongrois. Infiniment nuancé à l’Acte I, où sont réalisées des fins de phrases d’une exquise voix mixte et des attaques du bout des lèvres, le chant se tend un peu au II, mais sans atteindre les forçages entendus dans Tristan und Isolde il y a quatre ans [lire notre chronique du 1er juin 2010]. Fafner hier, Hunding aujourd’hui, la dimension vocale imposante de Walter Fink continue de faire merveille : les moyens sont vastes et l’art d’une souplesse remarquable. D’un timbre mâle que projette une émission superbement maîtrisée, Anja Kampe s’impose comme une très grande Sieglinde, confirmant son succès à Bayreuth l’été dernier [lire notre chronique du 15 août 2013]. Déployant progressivement un lyrisme débridé, le soprano signe un deuxième acte sombre à frémir, bouleversant d’intensité.

Si le couple divin est permanent – Judit Németh toujours onctueuse en Fricka souveraine, qui défend sainement un personnage éloigné des mégères conventionnelles ; Egils Silins en meilleur voix que la veille, Wotan bien dit, cette fois –, la fille rebelle occupera deux gosiers au fil de ce cycle. Aujourd’hui, nous entendons l’excellentissime soprano dramatique Iréne Theorin : disposant de moyens qui semblent illimités qu’elle conjugue avec art, tant pour ce qui est de la qualité de la couleur que de la puissance de la projection, la Suédoise est une Brünnhilde d’une densité envahissante, à la présence heureuse. Souplement nuancée dans une inflexion moelleuse, sa prière du III est saisissante, irrésistible. Simplement prodigieuse !

Parfaitement haletante, la direction d’Ádám Fischer propulse d’emblée l’écoute au cœur du drame amoureux, puis s’élève dans les aléas cosmogoniques wagnériens. Tout en favorisant les prises de parole des différents chefs de pupitres (solo de violoncelle à fondre), profitant en gourmand des forces talentueuses du Magyar Rádió Szimfonikus Zenekará, le chef insuffle une énergie à sa lecture. Après une chevauchée quasiment aérienne, il soigne délicatement les timbres et porte haut les adieux et la conclusion, étirant à peine la respiration. N’oublions pas nos huit gentilles bêtes à cornes, toutes efficaces, dont Zsófia Kálnay (Rossweise), Gertrúd Wittinger (Hemwige) et Polina Pasztircsák (Gerhilde) flattent particulièrement l’oreille.

BB