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Chroniques
Le Concert Étranger, Itay Jedlin
Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Matthaeum BWV 244
Creuset du répertoire baroque depuis plus de trente ans, le Festival d'Ambronay referme son édition 2016* sur la Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Matthaeum BWV 244 de Johann Sebastian Bach, aboutissement du cycle initié par Itay Jedlin et son ensemble Le Concert Étranger, après la Passion selon Saint Jean en 2014 et la reconstitution de celle selon Saint Marc l'année dernière, en cette même abbatiale. Fidèle à la conception qui prévaut depuis les débuts de l'aventure, le chef israélien a choisi une lecture que d'aucuns qualifieraient d'intimiste, avec un double chœur à un par partie, placé de part et d'autre de la tribune, de même que les deux formations instrumentales également condensées.
L'effet de spatialisation, ou du moins de stéréophonie, peut certes être discuté par l'acoustique des lieux. Cependant, l'impact en termes de théâtralité se révèle perceptible. Sans céder sur l'intériorité, la répartition des interventions parmi les solistes favorise un élargissement de la palette expressive qui tire parti des ressources des interprètes, jusqu'à esquisser des personnages, faisant sortir la partition de l'abstraction dramaturgique où sa ferveur religieuse la retient parfois, tout en pouvant s'entendre aussi comme autant de points de vue sur les états successifs de l'âme du croyant qui redevient témoin du supplice christique.
Si les premières mesures se contentent de mettre en place la situation dramaturgique, une urgence inquiète affleure dans la seconde partie du dialogue choral (« Seht – Wohin ? – auf unsre Schuld »), grâce à une efficace plasticité des tempi qu'on retrouvera au fil de l’exécution, pour mettre l'accent sur une précipitation des événements ou des effets de foule, quitte à verser çà et là dans un relatif sfumato, à l'intérêt inégal selon les morceaux – les anecdotiques imprécisions sont davantage signalées côté orchestre et chœur I que II, lequel se distingue par sa qualité plus constante.
Plus que la relativement pâle Hasnaa Bennani, Lina López s'affirme comme un soprano sensible dont la jeunesse discrètement fruitée illumine le Blute nur, et qu'on retrouve aux côtés de l'alto Jan Börner dans So ist mein Jesus nun gefangen, lequel livre un Können Tränen meiner Wangen éthéré et délicat. Son homologue féminin, Marine Fribourg, s'avère essentiellement honnête, à l'image de la basse Baptiste Jore. Si Virgile Ancely fait un Pilate aussi patibulaire qu'on peut l'attendre [lire notre critique du CD Pyrrhus], les interventions solides de Stefan Vock ne se départissent pas d'une certaine bonhomie un peu hors-propos. Côté ténors, David Munderloh laisse un Geduld un peu fébrile. Ce n'est rien en comparaison de l'histrionisme de Jeffrey Thompson, au vestiaire presque aussi douteux que le style et dont la technique est sans doute affectée par une méforme passagère.
Quoiqu'un peu trop ostentatoire, cela n’entrave pas la noblesse de l'Évangéliste de Vincent Lièvre-Picard, d'une belle hauteur de vue dénuée de narcissisme [lire notre chronique du 30 janvier 2015]. Le ténor français sait tirer parti des ressources d'un instrument à la puissance pourtant calibrée : sans verser dans le pathos, il accentue les moments dramatiques avec justesse et oriente la narration des Écritures vers une universalité au moins aussi humaine que liturgique. Quant au Jésus de Tomáš Král, son incarnation rayonnante se nourrit d'une voix solide et généreuse, telle un baume à la mesure de la puissance rédemptrice du Christ [lire notre chronique du 22 août 2009]. L'on n’oubliera pas la tenue admirable desripieni confiés à Cécile Achille (soprano) et Adrien Mabire au cornet, ni le continuo assuré par Michel Henry au théorbe et l'excellent Jean-Luc Ho au clavecin [lire notre chronique du 2 octobre 2016].
GC
* sur la présente édition du Festival d’Ambronay,
lire nos chroniques des 17, 24 et 28 septembre 2016