Recherche
Chroniques
The Fairy Queen, mask d’Henry Purcell (version concert)
Les Nouveaux Caractères, Sébastien d'Hérin
« The Fairy Queen est une œuvre de tableaux, et le mot colore ces tableaux » (brochure de salle). Claveciniste, directeur musical et cofondateur de l'ensemble lyonnais Les Nouveaux Caractères, Sébastien d'Hérin recourt à cette brève formulation du pouvoir de l'art lyrique pour convenir de la grande hétérogénéité du semi-opéra (mask) composé par Henry Purcell (pour une création à Londres en 1692, un an après le fantastique King Arthur), aujourd'hui donné en version de concert, au premier samedi soir d'automne, dans la splendide abbatiale bressane.
En effet cette dernière partition achevée par Purcell pour l'opéra, dérivée de la complexe pièce de Shakespeare A midsummer night's dream (1594-1595), inspire encore par bribes, comme des motifs circulant à travers les arts, d'immenses créateurs modernes tels Pina Bausch dans la danse contemporaine, puis Pedro Almodóvar au cinéma.
Toutefois, sans espace scénique où s'épanouir en récréant forêts, palais anglais ou athéniens (dans le cadre grec de la comédie shakespearienne), la masse composite de danses, de duos comiques, de chœurs glorieux et d'apparitions féeriques risque de paraître trop artificielle, dénudée et sans âme. Qui plus est quand, en raison peut-être de la captation par Radio France, l'interprétation semble en première partie trop tendue, puis trop relâchée. En résulte une prestation condensée et inégale, mais en cela fidèle au curieux livret qui dépeint une atmosphère étrange, nourrie d'un trop-plein d'images poétiques avortées.
La théâtralité du premier acte ravit pourtant le large public, avec allant. Passé l'Ouverture aux trompettes puissantes, Titania, reine des fées, élève d'une voix cristalline un chant doux à en perdre la tête. Cette Fairy Queen du soprano Caroline Mutel augure bien une nuit de rêve [lire notre critique du CD Scylla et Glaucus]. Mais voici plutôt une équipée à sensations fortes, avec l'irruption comique du poète ivre et aveuglé, joué par l'excitant baryton Kevin Greenlaw, suivie des embardées très vivantes et délirantes des chœurs (bien tenus par les solistes) et de l'orchestre dans
Pinch the wretch from top to toe
Pinch forty, forty times!
(Pinçons le misérable, de la tête aux pieds
Pinçons-le quarante fois, oui, quarante !)
Le sabbat de cet imaginaire palais doré se referme sur une gigue suave, insufflée par les violons et le chef qui ondulent ensemble. L'Acte II fourmille de songes, dans un trouble initié par le joli duo de flûtes imitant les oiseaux au clair de lune, puis définitivement semépar les différentes berceuses de quatre créatures nocturnes et les merveilleux chœurs et danse qui s'y rattachent. Dans le rôle de la Nuit, Caroline Mutel signe une belle lamentation oscillant entre le sacré et l'onirique, tandis que l'alto Christophe Baska offre l'air le plus mélodieux, celui du Mystère. Le jeune ténor anglais Samuel Boden (le Secret) s'affirme ensuite comme un chanteur baroque accompli [lire notre critique du CD Die Israeliten in der Wüste], qualité évidente chez l'expérimenté Anders Jerker Dahlin qui prête à l'Automne sa sublime voix de ténor à l'impeccable émission, dans le déroulé un peu banal des saisons à l'Acte IV [lire nos chroniques du 9 novembre 2014, du 1er février 2012, du 9 avril 2006 et du 8 août 2005]. Entre-temps de gracieuses vocalises de soprani nous parviennent de Hjördis Thébault, en Dryade enchanteresse, et de la trop rare Virginie Pochon, en serviteur du roi Obéron.
Finalement approche le célèbre air de la Complainte, O let me ever, ever weep, petit bijou lyrique accompagné d'une trompette délicate. Caroline Mutel y est bouleversante, freinant tout en douceur pour le dernier acte. Cofondatrice des Nouveaux Caractères il y a dix ans (certainement passés à toute vitesse), elle compte aussi plusieurs mises en scène à son actif, incluant The Fairy Queen. Un défi sans doute ardu mais fort estimable que de lever les frustrations d'une version de concert.
FC