Chroniques

par samuel moreau

André Grétry
Pierre le Grand

1 DVD Arthaus Musik (2005)
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André Grétry | Pierre le Grand

Formé à la musique dans sa ville natale de Liège (violon, clavecin, composition) puis en Italie grâce à une bourse d'étude, installé un temps à Genève avant la consécration parisienne, André Ernest Modeste Grétry (1741-1813) incarne un peu cette Europe culturelle, curieuse et métissée qui enthousiasme l’esprit et réchauffe le cœur. De fait, ses œuvres évoquent des personnages très variés, qu’ils soient historiques ou légendaires : Le Jugement de Midas (1778), Andromaque (1780), Richard Cœur de Lion (1784), Raoul Barbe-Bleue (1789), Guillaume Tell (1791). L'argument de Pierre Le Grand mêle un peu les deux. En effet, dans la pièce de Jean-Nicolas Bouilly qui servit au livret, le tsar de Russie est montré travaillant incognito sur un chantier naval, construisant lui-même le premier bateau de son empire. Il y rencontre la jeune Catherine qu'il épousera plus tard.

Écrite en 1789, la pièce présente un souverain éclairé, rêvé par Les Lumières, à l'heure où Paris se révolte contre l'oppression versaillaise. Révolutionnaire libéral et admirateur de Marie-Antoinette, Bouilly souhaite autant avertir les souverains de leurs responsabilités face au peuple que rappeler à ce dernier l'obéissance due au Pouvoir. Malgré ce pamphlet royaliste présenté le 13 janvier 1790, Grétry, adulé depuis plusieurs années pour ses œuvres sentimentales à la grâce mélodique, ne succombe pas à la Terreur. Ami intime de Rouget de Lisle et de Beaumarchais, il sert rapidement la propagande révolutionnaire – La Rosière Républicaine et Denys Le Tyran (1794) – et son enterrement, sous Napoléon, fait l'objet d'une cérémonie officielle.

Le Chœur et l'Orchestre de l'Opéra Hélikon de Moscou ont présenté l'œuvre en 2003, à l'occasion des trois cents ans de la création de la ville de Saint-Pétersbourg par l'Empereur Pierre. De cette comédie en prose mêlée de numéraux musicaux – qui durait plus de quatre heures dans sa première version –, ils ont conservé l'essence. Les dialogues sont en russe mais le chant en français. La mise en scène de Dmitri Bertman reprend l'idée symbolique du navire en construction, avec ses fiers ouvriers à l'œuvre, et les histoires d'amour qui s'y nouent. L'utilisation de la toile de jean pour la confection des costumes rappelle d'abord la mer avant d'évoquer la contemporanéité du propos, d'autant soulignée que la production est jouée juste après le vaste chantier de restauration qui a rafraîchit la ville pendant près de cinq ans.

On se souviendra longtemps du chant et de la diction du couple vedette. Charismatique et expressive, Elena Voznessenskaïa (Catherine) possède une voix souple, un timbre et un legato magnifiques. Réalisées en voix appuyée, les vocalises de Maxim Mironov (Pierre) sont agiles ; sa voix s'avère claire, cuivrée dans l'aigu, agile et légère comme celle des grands ténors mozartien, voire rossinien – un contre-mi à l'Acte II nous invite à le penser. Au pupitre, Sergeï Stadler offre une lecture équilibrée et vive, ainsi qu'un splendide solo de violon.

SM