Chroniques

par bruno serrou

Die Walküre | La Walkyrie
opéra de Richard Wagner

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 31 mai 2010
© opéra national de paris / charles duprat

Voilà trente-trois ans que La Walkyrie, volet le plus populaire du Ring de Wagner, n’avait pas été donné à l’Opéra de Paris. C’est dire combien cette nouvelle production était attendue, malgré les réserves formulées à l’issue du prologue, L’Or du Rhin, donné en mars dernier [lire notre chronique]. Après la Tétralogie avortée de Klaus Michael Grüber au Palais Garnier en 1976 reprise en 1978, la nouvelle production présentée à Bastille, où l’ouvrage fait son entrée, continue à susciter la consternation. Günter Krämer connaît assurément le Ring et s'y entend en matière de direction d’acteurs. Il connaît aussi ses classiques, puisque sa Walkyrie puise sans ambages dans les scénographies de Patrice Chéreau et de Yannis Kokkos.

Ainsi, au premier acte, la forêt feuillue recouverte de rosée au moment où Siegmund lance l’hymne au printemps emprunte ouvertement au décor de Richard Peduzzi à Bayreuth pour La Walkyrie du Centenaire, tandis que le grand escalier qui se reflète dans un immense miroir au deuxième acte doit énormément au metteur en scène scénographe grec… Mais une fois ces références intégrées, le reste de la vision est un salmigondis d’images plus trash les unes que les autres. La vaste demeure de Hunding est envahie tout le premier acte durant par les cadavres de victimes d’un carnage perpétré sans doute par le maître des lieux et ses sbires sur une peuplade venue d’on ne sait d’où, avec force viols et empalements, tandis que l’épée Nothung est cachée par un tissu accroché à un mur de béton pop’art. Le décor du deuxième acte dérive du finale de L’Or du Rhin vu de l’intérieur, avec les lettres du mot « Germania » au beau milieu du Walhalla qui sera bientôt défait de ses trois premières lettres. Le tout plonge le spectateur dans une mythologie national-socialiste amplement éculée, tandis que la fuite du couple incestueux se déroule au milieu d’un sombre désert, avant que la bande de Hunding noie sous la masse le pauvre Siegmund et créent une inextricable confusion, faisant de la scène finale du II un énorme fatras.

Mais le comble est atteint lors de la chevauchée des Walkyries, qui s’escriment en fait à chevaucher des corps de héros nus qu’elles nettoient accoutrées en infirmières lubriques et qu’elles remettent sur pieds non sans avoir vérifié si tout était chez eux en état de marche – ah, les fantasmes des metteurs en scène, inoxydables ! –, tandis que Wotan endort Brünnhilde sur la table de médecin légiste où le roi des dieux a abandonné le cadavre de Siegmund, ce qui semble choquer sa fille bien-aimée, qui profite du moment où son père a le dos tourné pour s’allonger sous ladite table, lorsque, soudain, Wotan invective à Loge, le demi-dieu du feu, l’ordre de se déployer autour de Brünnhilde endormie et, au-delà, d’embraser la forêt environnante qui laisse place à un décor de fin du monde…

Autant dire sans attendre l’accueil houleux réservé au metteur en scène et à son équipe de scénographes au moment des saluts, ce qui n’est pas sans rappeler certaines soirées mémorables de l’ère Mortier… En revanche, l’aspect musical a été amplement acclamé. Pourtant, Philippe Jordan, malgré ses incontestables qualités intrinsèques, a indubitablement besoin de laisser murir en lui l’immense cycle qu’est le Ring de Wagner et ses multiples atours, avec ses nombreux tenants et aboutissants. En effet, si les tempi se sont faits plus vifs et contrastés que ceux de L’Or du Rhin, notamment les préludes, dynamiques et tendus, cette Walkyrie manque d’unité et de progression dramatique, plombée par de nombreux tunnels, notamment les récits de Siegmund, puis de Fricka, de Wotan, enfin de Brünnhilde. Quant aux « Adieux de Wotan », ils ont manqués de poésie et de tendresse. Et ce n’est pas la faute de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, qui s’est donné sans compter, offrant clairement à entendre son bonheur de jouer cette musique qu’aucun musicien de la formation d’aujourd’hui n’avait encore eu l’occasion d’interpréter, exaltant des sonorités de braise sans jamais faillir, à la seule exception des cors dans les ultimes mesures.

La distribution n’est pas en reste, homogène et crédible, malgré l’accoutrement des femmes continuellement en combinaison blanche, à l’exception de Fricka, vêtue d’une robe rouge sang, tandis que les hommes portent costumes trois pièces, vêtements de travail et treillis militaires façon armée serbe. Excellent Siegmund de Robert Dean Smith, avec sa voix fluide, aérienne mais solide plus Lohengrin que Siegmund, rayonnante Sieglinde de Ricarda Merbeth, somptueuse Fricka d’Yvonne Naef au chaud mezzo et au lumineux aigu, brillante Brünnhilde de Katarina Dalayman, qui sait alterner vaillance et tendresse, cohorte de Walkyries d’une belle cohésion (Marjorie Owens, Gertrud Wittinger, Sylvia Hablowetz, Wiebke Lehmkuhl, Barbara Morihien, Helene Ranada, Nicole Piccolomini et Atala Schöck). Quant au Wotan de Thomas Johannes Mayer, la voix est sûre et égale, et se substitue avantageusement à celle de Falk Struckmann, qui l’a précédé dans L'Or du Rhin. La suite la saison prochaine, avec Siegfried et Le Crépuscule des dieux en mars et juin 2011.

BS