Chroniques

par françois cavaillès

Don Giovanni | Don Juan
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra de Saint-Étienne
- 8 novembre 2019
Giuseppe Grazioli joue Don Giovanni (1787), dramma giocoso signé Mozart
© opéra de saint-étienne | cyrille cauvet

« Si Don Juan était un athée véritable, il n’y aurait pas de drame. Mais il parle à Celui qu’il nie et il ne le nie que pour mieux le braver. Et le non qu’il lui oppose, il le crie encore, alors que déjà la main de pierre est scellée autour de son faible poignet et l’entraîne vers la rive dont nul n’est revenu. Ce refus de Don Juan, déjà perdu et qui pourrait encore être sauvé, et qui ne veut pas l’être, lui donne sa dimension prométhéenne. Lui enlever ce trait, c’est le ravaler à rien. S’il ne lui restait que d’être cet obsédé sexuel qui court les rues (c’est le cas de le dire !), si tout se ramenait pour lui à cette chasse morne, il y aurait là matière à une comédie que chacun peut se donner à soi-même sans faire tant de frais de chandelle, car elle n’intéresse pas les autres. »

À l’Opéra de Saint-Étienne la nouvelle production du fameux dramma giocoso de Mozart et Da Ponte, Don Giovanni (1787), donne envie de se ranger en bonne partie à l’avis critique de François Mauriac, paru dans Le Figaro littéraire du 22 novembre 1958. Dans une ambiance urbaine contemporaine, interlope et magnifique campée par le décor unique, imposant et fouillé (Philippine Ordinaire), par les ombres et lumières fortes (Nathalie Perrier) et les costumes à tendance réaliste, mais variés, pleins de goût, avec quelques claires références (Frédéric Llinares), la mise en scène que signe Laurent Delvert fait un rebelle du personnage principal, entouré de sbires virevoltants. Lâche et vil, le cynique insolent tourne souvent le dos à celui auquel il s’adresse et dirige un viol pendant le prologue, quand la musique ne s’y prête pas du tout. Sur scène la charge érotique est conséquente, incluant quelques belles effeuilleuses dans le simulacre noir de bal masqué, mais ce Don Juan aux allures de proxénète et de petit caïd paraît sincèrement déçu lorsque ses charmes n’ont pas l’effet souhaité.

Fort heureusement, parti de ce postulat réducteur, voire trompeur, dans l’ensemble de ses tentatives de conquête et la fascinante évolution des rapports de pouvoir, l’âme est présente. Chaque élément du spectacle trouve sa place dans l’ordre magique qui opère. Comment, par exemple le quatuor Non ti fidar, o misera, d’un sens musical inouï, parvient-il à réunir des personnages dispersés dans leur conception comme leur situation ? Alors, par-delà le semblant de donjuanisme caricatural et brutal, le jeu de séduction convient tout à fait. De victime à bourreau, quels fabuleux rires glacés, aux éclats ou sous cape, jusqu’à l’incroyable effet final !

Le rôle-titre est défendu avec impétuosité et quelque pose par le baryton Michał Partyka [lire nos chroniques des Troqueurs, de Mirandolina, Káťa Kabanová, L’heure espagnole, Charlotte Salomon, Rigoletto et des Huguenots], qui réalise notamment un gourmand Fin ch’han dal vino calda la testa (air du champagne). Le valet Leporello est un nouveau succès pour le baryton-basse Guilhem Worms, à son meilleur pour l’air du pardon, Ah pietà, signori miei. Plus digne, mais aussi joliment jubilatoire sur la fin, la basse Ziyan Atfeh excelle en Commandeur, tandis qu’en Don Ottavio, le ténor Camille Tresmontant réussit avec bravoure Il mio tesoro intanto, petit bijou de cadence, de souffle long et de belles vocalises. Enfin, le baryton Matteo Loi impose un Masetto bonhomme et franc [lire nos chroniques de Der Besuch der alten Dame et de La scuola de’ gelosi]. La gent féminine n’est pas en reste, avec trois soprani bien en vue. En premier lieu, Clémence Barrabé (Donna Anna) brille par sa verve et ses aigus nets. Or sai chi l’onore est une merveille offerte d’une voix prenante et rageuse. Marie-Adeline Henry (Donna Elvira) se montre vite émouvante et volontaire, avant que s’avance Norma Nahoun (Zerlina), d’un chant agile à chaque occasion, et n’affriole son fiancé.

Enfin, Chœur lyrique et Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, précis et incisifs, contribuent à cette victoire musicale à tous les niveaux. D’une baguette plutôt rapide, le chef principal Giuseppe Grazioli [lire nos chroniques de Roméo et Juliette, Il barbiere di Siviglia, Orphée et Eurydice, Semiramide] veille à l’intensité et au brio mozartiens, bienvenus et essentiels dans les superbes ensembles et récitatifs accompagnés que recèlent la partition.

FC