Chroniques

par laurent bergnach

Roméo et Juliette
opéra de Charles Gounod

Opéra de Tours
- 23 avril 2006
Roméo et Juliette de Gounod à l'Opéra de Tours
© grand théâtre de tours

Quelques années après Berlioz et sa Symphonie dramatique Op.17 (1849), Charles Gounod s'intéresse à son tour à la pièce la plus connue de Shakespeare. Le goût du public est au romantisme, si bien que les amours moyenâgeuses et contrariées d'un jeune couple qui s'abandonne à la mort volontaire s'imposent comme un sujet idéal. La traduction de François-Victor Hugo vient de paraître ; les librettistes Jules Barbier et Michel Carré y puisent volontiers. Leur attention se porte sur les quatre rendez-vous amoureux et, mis à part les duels en chaîne impliquant Stephano et Gregorio, puis Mercutio, Tybalt et Roméo (Acte III, scène 2), relèguent à l'arrière-plan le conflit séculaire entre Capulet et Montaigu. Les cinq actes sont créés au Théâtre Lyrique de Paris, le 27 avril 1867.

Pour cette nouvelle production qui clôt la saison tourangelle avant la réfection des cintres, Giuseppe Grazioli, attentif aux chanteurs ainsi qu'à l'équilibre des pupitres, met beaucoup de délicatesse à accompagner la mise en scène de Jean-Christophe Mast.

Malheureusement, cette dernière paraît désordonnée. Après un prologue très sobre – chœur face au public, avec un bouquet de lys se fanant peu à peu, sur l'écran derrière lui –, la scène du bal masqué transpose à l'époque de la composition de l'ouvrage, avec hommes en habits et projection d'une gravure de salon bourgeois, avec buste et harpe. Les femmes ont d'horribles robes rectangulaires qui laissent apparaître de célèbres motifs picturaux lorsqu'elles tournoient. C'est visuellement fort laid, et d'autres moments du spectacle font ainsi se heurter éléments kitsch et volonté d'épure. La structure modulable du décor est plutôt bien pensée, mais encore aurait-on pu la simplifier : retirer la fenêtre du balcon, les cordes de ring prévues pour les combats à l'épée (dans la rue, pas au gymnase !), et revenir à cet écran de cinéma qui n'a servi que durant la première demi-heure. À partir de là, nous échappons à l'emprise du metteur en scène pour faire la liste des opportunités négligées.

On voudrait mettre une poupée dans les bras de Juliette, on aimerait que Roméo lui laisse en gage sa collection Panini, qu'ils se chatouillent entre deux airs, bref, les voir sans retenue comme des adolescents amoureux. Mais Mast a fait le choix du sérieux amoureux, nous livrant des duos convenus de genou au sol, de mains jointes, de corps statiques.

Du coup, ses principaux interprètes sont peu attachants. Magali de Prelle (dernièrement au Châtelet, héroïne de L'Amour de loin) peine à faire vivre son personnage, et le manque de souplesse de ses premières vocalises trahit un manque d'aisance. Par la suite, la voix gagne en espace et en velours, et sa Juliette en crédibilité. À l'inverse, Jean-Francis Monvoisin, Roméo hébété, ne s'améliore pas : un problème évident de construction nous laisse satisfaits quand cinq syllabes se trouvent miraculeusement enfilées dans une même place. Dommage, car le chant est clair et la diction correcte.

Le reste de la distribution réserve de bonnes surprises. En père de famille ainsi qu'en frère de l'église, François Harismendy et Antoine Garcin s'avèrent sonores et charismatiques. Vaillant et doté d'un timbre plaisant de ténor corsé, Bruno Comparetti (Tybalt) séduit, tout comme Jean-Louis Mélet (Gregorio) au chant souple et rond. Quant à Didier Henry, on reprochera juste à son Mercutio une diction brouillonne. Enfin, si Cornelia Oncioiu (Gertrude) et Hervé Hennequin (Duc) sont d'honnêtes intervenants, sa belle pâte sonore et une égalité constante sur toute la tessiture ont offert à Maryline Fallot une ovation méritée pour son Stephano mémorable – on retrouvera le mezzo à la rentrée dans une création strasbourgeoise signée Bruno Mantovani.

LB