Chroniques

par jérémie szpirglas

Il barbiere di Siviglia | Le barbier de Séville
opéra de Gioachino Rossini

ANO / Grand Théâtre, Nantes
- 5 octobre 2010
Frédéric Bélier-Garcia met en scène le Barbier (Rossini) à Nantes
© ano | jef rabillon

Le Barbier est à la mode, cette saison. L’on en vit un à Genève, un peu triste [lire notre chronique du 13 septembre], on en verra trois autres : à Montpellier en décembre, au Châtelet (Paris) en janvier et à Toulouse en mars prochain. En ce mois d’octobre, c’est à Nantes qu’il se chante – et fort bien !

Cet effet de mode – et la proximité qu’elle induit entre les productions – permet de se rendre compte d’une pratique courante, mais souvent passée sous silence : la coupe. Pour réduire la durée du spectacle, pour pallier certaines difficultés techniques ou musicales, ou tout simplement pour les besoins des artifices de la mise en scène, il est courant de supprimer tout bonnement d’importantes portions de récitatifs ou même des airs entiers. À Nantes, on a eu l’étonnement d’être floué de quelques scènes, dont une partie du dernier acte : la scène, avant l’ascension de Figaro et d’Almaviva de l’échelle pour aller sauver la belle Rosina, où Bartolo fait croire à sa pupille que son amant Lindoro (en réalité Almaviva déguisé) n’est qu’un traitre à la solde du Comte. On ne voit pas non plus Rosina, en retour, accepter, de rage et de dépit, sa proposition de mariage.

Ces coupes sont l’objet de multiples débats entre metteurs en scène et chefs d’orchestre, et s’avèrent plus ou moins heureuses. Dans le cas présent, on ne peut que s’étonner de leur peu d’à-propos, tant la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia et la direction de Giuseppe Grazioli témoignent, durant toute la pièce, d’une compréhension rare de ce en quoi réside le réel ressort dramatique, chez Beaumarchais comme chez Rossini : la mauvaise foi. La mauvaise foi, c’est en effet le génie à l’origine du célèbre air de la calomnie, c’est la malice de Rosina, incarnée avec beaucoup de piquant et d’exubérance par le charmant mezzo-soprano Paola Gardina. La mauvaise foi, ce sont, évidemment, les ruses tout sourires de Figaro – Kevin Greenlaw en qui on ne peut s’empêcher de voir une certaine classe à la Georges Clooney dans Ocean’s eleven – et les multiples déguisements d’Almaviva – Philippe Talbot qui échappe avec talent à la mièvrerie du rôle. C’est aussi cette hypocrisie mêlée d’une incroyable lourdeur d’esprit de Basilio, formidable Wenwei Zhang, ou la rouerie pleine d’avarice de Bartolo, campé avec beaucoup d’humour par Franck Leguérinel. Mais, si cette mauvaise foi est parfaitement mise en valeur, Frédéric Bélier-Garcia s’éparpille en de multiples astuces scéniques, gags plus ou moins burlesques et réussis, le plus souvent tout à fait inutiles – hélas (comme faire défiler une femme nue sur l’escalier qui meuble l’arrière-scène, ou faire tomber une statue d’écorché anatomique sur le plateau durant le final de l’Acte I).

Nulle fausse note, en revanche, côté musique, où tout est parfait. La direction endiablée et formidablement colorée de Giuseppe Grazioli est un bonheur d’un bout à l’autre, ses nuances et recherches de timbres sont admirables — on ne s’installe jamais dans une routine ou dans un quelconque statisme, même l’espace d’une mesure.

Quant au plateau, il est d’une qualité exemplaire : tous les rôles y sont exquis, jusqu’à la Berta de Jeannette Fischer et le Fiorello (L’Officier) d’Éric Vrain ; la complicité qui unit les chanteurs est palpable. Sur le plan vocal, on retiendra la performance de Philippe Talbot (Almaviva) dont la maîtrise du timbre et du vibrato force l’admiration, de même que son talent de guitariste (puisqu’il s’accompagne lui-même dans sa Sérénade), l’aisance pleine d’esprit de Paola Gardina (Rosina) et la virtuosité mêlée d’aplomb et de puissance de Kevin Greenlaw (Figaro) et de Franck Leguérinel – même si les tempi tourbillonnants de Giuseppe Grazioli les laissent parfois à bout de souffle –, et, last but not least, le timbre extraordinaire de Wenwei Zhang (Basilio), tout en veloutés et en souplesse.

JS