Chroniques

par katy oberlé

Don Carlo
opéra de Giuseppe Verdi

Maggio Musicale Fiorentino / Opera di Firenze
- 5 mai 2017
Le Maggio Musicale Fiorentino présente Don Carlo par Giancarlo Del Monaco
© michele borzoni | terraproject contrasteo

Ce matin, il fallut quitter la sévère cité d’Orvieto où ma promenade faisait escale entre deux représentations lyriques. Pressée de découvrir ce paysage étrange de l’Ombrie, j’avais parcouru d’une seule traite le trajet à partir de Naples, rêvassant à cette Traviata grand genre vue la veille [lire notre chronique du 3 mai 2017]. Vendredi est tout autre, car je suis partagée entre mon peu d’envie de rentrer bientôt à Strasbourg et le désir de retrouver auparavant les merveilles florentines. Du coup, je traînaille, m’arrêtant une heure après être partie. Il faut dire que Montepulciano en vaut la peine, vraiment ! Allons, il faut y aller… Une nouvelle heure de voiture et c’est dans la ville de la musique que je déjeune : Arezzo, où naquirent Pétrarque, Cesti et surtout fra’ Guido qui en a fixé la notation. Après la cohue napolitaine, le calme de ces trois lieux est incroyable. Vers 15h, je reprends le volant et débarque une heure plus tard dans une autre sorte de foule, celle des touristes qui noircit Florence – on n’y coupe pas. La fièvre de la consommation culturelle, c’est aussi ça, l’Italie, et on ne l’en aime pas moins.

Après l’Idomeneo de dimanche [lire notre chronique du 30 avril 2017], retour au prestigieux Maggio Musicale Fiorentino qui boucle la boucle : à Gênes Don Carlo commençait mon printemps italien, la semaine précédente, et c’est Don Carlo qui le conclut ce soir, également dans la version en quatre actes de 1884 [lire notre chronique du 26 avril 2017]. Il s’agit d’une coproduction espagnole entre le Festival Ópera Tenerife, le Teatro de la Maestranza de Séville, l'ABAO-OLBE de Bilbao et l’Opera d’Oviedo. Elle est signée Carlo Centolavigna pour les décors, Jesús Ruiz pour les costumes et Wolfgang von Zoubek à la lumière, enfin Giancarlo Del Monaco quant à l’ensemble.

Devenu un incontournable des grandes maisons internationales [lire nos chroniques de ses Contes d’Hoffmann, Andrea Chénier, Francesca da Rimini, Cavalleria rusticana et I Pagliacci, Fanciulla del West, Tosca et Luisa Miller], Giancarlo Del Monaco (auquel est associée ici Sarah Schinasi) n’en est cependant pas moins le plus ennuyeux des metteurs en scène, son Don Carlo le confirme. La disparité des registres expressifs entre les personnages décrédibilise le drame, dans un dispositif mi-figue mi-raisin qui essaie de se mettre à la page sans changer la garde-robe de jadis. Cela fonctionne comme une succession de fenêtres sur une scène plutôt qu’une suite de moments qui formeraient un fil dramatique. Chacune est pesamment démontrée – par exemple : l’immense crucifix blanc de l’autodafé, nu intégral... Des libertés prises avec les situations et les relations entre les protagonistes sont discutables parce qu’elles n’apportent rien du tout. On ne peut pas dire que le résultat est laid, non, avec les atmosphères ténébreuses qui rappellent les maîtres flamands ou encore le luxe des costumes, mais c’est un grand fourre-tout qui finit par s’avérer indigeste.

Alors que le spectacle déçoit, la partie musicale est une réussite.
À commencer par la fosse où brille un amoureux de la musique de Verdi et de cet ouvrage en particulier. Le grand Zubin Mehta dirige les Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino (chef de chœur : Lorenzo Fratini) dans une version très élégante, grave et même grandiose. Le choix de ralentir certains tempi ajoute une touche solennelle. La prestation chorale est parfaite et les instrumentistes se surpassent. Le casting ne contredit pas cette bonne impression.

Je l’ai adoré dans la Missa di Requiem à Berlin et mon collègue n’a pas détesté son Calaf de l’été : Roberto Aronica est ce soir un infant formidable, avec un impact ni trop spinto ni trop dramatique. La vaillance de l’aigu donne le frisson [lire nos chroniques du 12 janvier 2017 et du 6 août 2016] ! Dmitri Belosselskiy en impose en Filippo, avec une ligne souveraine, une belle présence, malgré un italien perfectible. Désormais l’un des barytons les plus appréciés de la péninsule, Massimo Cavalletti entre, à trente-neuf ans, dans son âge d’or. La maîtrise de ses moyens généreux promet des moments inoubliables, comme le prouve son Posa au caractère vocal très fort, corsé, absolument théâtral. Wagnérien bien connu [lire nos chroniques de Tristan und Isolde, Die Walküre, Die Meistersinger von Nürnberg et Götterdämmerung], la basse nord-américaine Eric Halfvarson campe un Inquisiteur mémorable. Le jeune Oleg Tsybulko ne démérite pas en Moine et la Voix du Ciel est avantagée par la lumière douce du timbre de Laura Giordano.

Les deux têtes féminines de Don Carlo sont bien servies.
La prise de rôle de Julianna Di Giacomo en Élisabeth de Valois est convainquante, avec les différents caractères du personnage bien incarnés dans le chant. On retrouve l’excellente Ekaterina Gubanova en Princesse Eboli d’anthologie. La souplesse, la puissance, le charisme, la musicalité, tout se conjugue pour émouvoir [lire nos chroniques des 30 octobre 2008, des 9 et 27 juillet 2011, puis du 23 novembre 2015]. Les oreilles sont contentes !

Huit jours ont passé. C’est fini, voilà. Balades dans Florence, prévues demain. Je reprendrai la route dimanche, vers le nord, l’Italie dans le dos. Mais que de souvenirs !

KO