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Chroniques
Tosca
opéra de Giacomo Puccini
Soirée pas comme les autres à l’opéra de la cité suisse : le directeur vient sur scène pour annoncer les problèmes de santé ayant soudain frappé la chanteuse Alexia Voulgaridou, des soucis qui lui interdisent de chanter le rôle de Floria Tosca, les difficultés suscitées par cette abrupte absence, les recherches pour trouver une remplaçante et l’arrivée – tout aussi abrupte que « soulageante » pour toute l’équipe – de sa collègue Annalisa Raspagliosi, se moulant dans le personnage de l’héroïne du signor Puccini. Rideau : et c’est alors le texte de surlignage en langue française qui annonce la couleur, où plus exactement le changement d’époque imaginé par le metteur en scène Giancarlo del Monaco : « Rome – 1943 ».
Non, il n’y a pas erreur ! Le dramaturge à la tâche a décidé de quitter la cité pontificale de l’an 1800 où se situait la pièce originale de Victorien Sardou qui inspira les librettistes Illica et Giacosa, pour transposer l’action dans la même ville, mais un siècle et demi plus tard. Pire encore que dans l’Italie mussolinienne de la Deuxième Guerre mondiale, nous sommes au moment où le Duce a perdu son pouvoir et où l’Italie tombe directement sous la botte nazie. Pourquoi pas, après tout, même si, en matière d’art lyrique, les « transports d’intrigue » dans le temps ont souvent pataugé dans l’invraisemblance, l’a priori du genre prétentieux « regardez ce que je sais faire » ou « je ne fais pas comme les autres, moi ».
Pari osé, pari risqué, et ici pari gagné, tout au long de la soirée. Le parallèle est saisissant entre les deux périodes historiques : d’un côté, la papauté épuisée de l’ancien régime, l’ombre de l’empire autrichien, l’invasion des armées de la république française et les sbires au service du Saint Siège qui combat les tenants des idées révolutionnaires. De l’autre, l’Italie ballotée, l’ombre du fascisme fissuré, l’arrivée prochaine et attendue des armées alliées, les gestapistes qui pourchassent les résistants de la péninsule.
Tout l’art des hommes de théâtre à décliner cette lecture nouvelle est d’avoir bien construit leur travail, de le faire habilement évoluer, sans étouffer le texte original et sans jamais obérer la partition. La direction vigoureuse des acteurs, les sombres et imposants décors conçus par Daniel Bianco, que soulignent des éclairages forts à propos, les costumes de Jesús Ruiz, ont leur part dans l’affaire. Sous l’imposant portrait du Führer qui trône au dessus du bureau du chef de la police, les uniformes nazis s’agitent, Mario est torturé, Floria souffre, capitule, sauve – ou croit sauver – celui qu’elle aime, avant de tuer… Au Château Saint-Ange, elle ne sautera pas dans le vide : elle se suicidera, comme bien des résistants ayant ainsi échappé à toute « faiblesse ».
L’autre atout du spectacle réside dans les qualités du matériau musical, tant vocal qu’orchestral, qu’il possède, emploie et déploie. D’abord sous la direction vivante, vibrante, mais aussi incitatrice et fédérative, de Roberto Rizzi Brignoli, aussi à l’aise qu’efficace dans ce répertoire, en parfaite osmose avec les divers pupitres de l’Orchestre de Chambre de Lausanne et le Chœur maison (souvent en coulisses), sans oublier la belle prestation de la Maitrise Horizon du conservatoire de la ville.
La même cohésion habite une distribution bien dosée, autour de la Tosca chantée et jouée par Annalisa Raspagliosi avec une musicalité, une humanité et une sensibilité qui forcent l’admiration. Elle trouve un compagnon de choix dans le séduisant Mario du jeune ténor Giancarlo Monsalve aux aigus clairs et brillants, toujours souples. Si ceux du baryton-basse Giorgio Surian sont désormais un peu tendus, la voix conserve son autorité, le chant sa présence et sa malléabilité, l’émission une flamboyante sureté. Les différents rôles complémentaires, surtout masculins – Tosca est un opéra d’hommes, mis à part le jeune berger délicatement chanté par Mathilde Monfray – sont également bien servis, à commencer par celui (si difficile dramatiquement) du Sacristain qu’interprète Marcin Habela et celui d’Angelotti par Daniel Golossov, traité théâtralement avec un excès frôlant la caricature.
Une interprétation dramatique et vocale qui rend toute sa vigueur à l’un des ouvrages les plus ressassés du répertoire.
GC