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Chroniques
La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi
Créé le 6 mars 1853 à Venise, à La Fenice où nous étions samedi [lire notre chronique du 29 avril 2017], le plus célèbre des opéras de Verdi a gagné Naples le 28 janvier 1855, donc moins de deux ans après sa première mondiale. Depuis lors, il y est l’ouvrage le plus souvent programmé. Affichant près de sept cents représentations jusqu’au jour d’aujourd’hui, le San Carlo vit une véritable histoire d’amour avec La traviata. L’hiver 2012, Ferzan Özpetek signait une nouvelle production de l’ouvrage, dans cette ville de contrastes à laquelle il vient d’ailleurs de consacrer un film, Napoli velata. Loin de déléguer la reprise aux mains d’assistants plus ou moins scrupuleux, le cinéaste turc est revenu tout spécialement dans la maison pour régler la renaissance de son spectacle.
Avec l’aide d’Alessandro Lai pour les costumes, tous somptueux, et de Dante Ferretti pour les décors très soignés et d’une richesse extraordinaire, le réalisateur déplace l’action. Elle est sensée se dérouler dans la Monarchie de juillet essoufflée par la campagne des banquets (1847), mais la voilà dans le Paris élégant et audacieux de l’avant-guerre, vers 1910. Une scénographie luxueuse en témoigne, de style art nouveau tardif, bien que pas encore art déco. Beaucoup de clins d’œil à l’orientalisme traversent la production.
Mais est-ce vraiment Paris ? Il s’agit plutôt d’une cité de studios, d’un ersatz bien léché où l’on tournerait Traviata, dans l’ornement prisé à l’époque pour évoquer la vie d’une courtisane. Le cinéaste fait donc référence au cinéma de ses illustres prédécesseurs, sans revendiquer le principe, puisque la scène est en couleur quand il aurait pu aller jusqu’à la jouer noir et blanc. De là certaines surprises, comme ces toréros d’opérette sur le gigantesque escalier, pendant la fête chez Flora. C’est que tout cela se joue pour les caméras. Au dernier acte, il n’en est plus question : dans la maison, le lit de repos où la demi-mondaine crachera ses poumons, pour de vrai. On retrouve la marque de fabrique du réalisateur, à l’œuvre dans ses meilleurs films, comme Le premier qui l'a dit (2010) et Saturno contro (2007), où la dure réalité rompt l’illusion quotidienne.
Entrer dans la peau de personnages qu’une telle munificence habille doit être plus gratifiant que de s’enlaidir dans une serpillère à la mode, comme les aiment les petits avant-gardistes réac’ dont bien des patrons d’opéra se sont entichés. Avec le costume, c’est tout un monde qui habite alors l’interprète. Cela ne fait aucun doute lorsqu’on observe la Violetta irrésistible et hautaine de Maria Grazia Schiavo, divine. Quant au chant, il incarne à lui seul une vie d’héroïne, superbe et décalée. On retrouve l’artiste avec joie [lire notre chronique du 20 novembre 2016], dans une prestation qui contraste le poids du phrasé et l’agilité de la ligne.
La quarantaine approchant, le ténor Giorgio Berrugi, applaudi en Mario de Tosca à Marseille [lire notre chronique du 13 mars 2015], donne un Alfredo de flammes, ébloui par la vedette. Les moments de douceur sont savamment nuancés. Bien qu’appréciée dans le répertoire baroque [lire nos chroniques du 16 août 2012 et du 4 février 2016], la jeune Giuseppina Bridelli affirme une grande facilité dans la partie de Flora, avec une voix copieusement impactée. Parmi les voix de demain, on remarque aussi le Gaston melliflu d’Enzo Peroni et l’Annina charmante de Marta Calcaterra. Il n’y a guère que Marco Caria, par ailleurs baryton méritant, c’est incontestable, qui ne satisfait pas en Germont père dont il n’a pas encore les moyens vocaux et l’autorité scénique.
Au pupitre des Coro e Orchestra del Teatro San Carlo, un spécialiste de Verdi, une baguette qui a servi les grands titres (Attila, Aida, Don Carlo, La forza del destino, Macbet, Nabucco, Rigoletto, Simon Boccanegra, Il trovatore, etc.). Renato Palumbo n’en est pas à sa première Traviata, et la fosse bénéficie d’une inflexion très lyrique. Le maestro inscrit sa lecture dans le respect de la volonté du compositeur en ménageant une grande douceur à l’accompagnement des voix, ce qui est loin d’être facile quand on veut maintenir l’intensité dramatique. Avec méthode, Palumbo gagne la partie, dans une couleur parfaitement italienne.
Après quelques journées à flâner entre Toscane et Campanie, avec une escale dans la magique Pérouse, cette matinée napolitaine n’a donc pas déçu ! Demain, trois heures de route jusqu’au volcan d’Orvieto, qu’il me tarde de découvrir, puis ma tournée italienne s’achèvera vendredi par un dernier opéra, un peu plus au nord…
KO