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Chroniques
Aida | Aïda
opéra de Giuseppe Verdi
Aida est bien le titre-star du Festival dell’Arena di Veronaet toute nouvelle production en constitue un petit évènement. Pour cette édition du centenaire, celle de Stefano Poda, qui, comme à son habitude, règle à la fois mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie, en met plein les yeux du public. La réalisation visuelle se révèle, en effet, extrêmement brillante pour le regard, avec l’apparition régulière de costumes argentés et scintillants, ainsi qu’un très gros travail de lumière qui produit de beaux et spectaculaires résultats. On peut cependant montrer moins d’enthousiasme à propos de certains choix, voire plusieurs tics du metteur en scène italien qui reviennent désormais périodiquement dans plusieurs de ses spectacles [lire nos chroniques d’Ariodante, Otello, Lucia di Lammermoor, Turandot, Faust, Ariane et Barbe-Bleue, Alcina et Rusalka, ainsi que notre entretien du printemps 2016].
D’une manière assez évidente, le concept du soir est la main : dès avant le début de la représentation, des mains sont disposées sur des piques autour de la scène, noires à jardin et blanches à cour, qui se transforment en poings serrés pendant la scène du triomphe (deuxième acte). Ce sont aussi et surtout cinq doigts mécaniques géants à l’arrière du plateau, faits de treillis articulés, qui se plient et se déplient lentement à l’aide d’une machinerie. On attendait d’ailleurs avec une gourmande impatience l’immense main à la conclusion comme clou du spectacle, en l’imaginant se refermer sur le couple condamné, mais le soufflé retombe sensiblement quand Aida et Radamès se placent à l’intérieur d’une ossature de petite pyramide et que les doigts ne se replient que partiellement.
On retrouve à Vérone un groupe de danseurs et figurants chers à Poda, dont les chorégraphies sont peu dansantes, à vrai dire. Ces intervenants sont omniprésents, entourant au plus près les protagonistes par séquences, à l’image de sangsues un peu collantes, rampant à terre ou se contorsionnant à d’autres instants. Ils effectuent parfois des mouvements collectifs, par exemple pendant la marche triomphale où ils tapent des pieds un sol brillant et bruyant. À l’Acte II, pendant le duo entre Aida et Amneris, c’est un peu un atelier de momification qui prend place : chaque couple de figurants s’affaire autour d’un corps blanc posé sur une table – le cadavre est un autre fil rouge chez Poda –, l’enroulant de bandelettes supplémentaires. Une belle image revient à deux reprises, celle d’un ballon argenté qui s’envole à l’arrière, l’ensemble des projecteurs blancs en demi-cercle et des lumières laser orientées soit vers la scène, soit vers le ciel, contribuant à la sensation de grand spectacle.
Premier protagoniste à entrer en scène, le Radamès de Gregory Kunde ne convainc pas totalement. Sa prestation est assez exceptionnelle pour un ténor de soixante-neuf ans. Malgré des aigus qui n’ont plus le brillant d’antan et un registre grave d’un volume parfois discret, il réussit une belle performance scénique [lire nos chroniques d’Iphigénie en Tauride, Doktor Faust, Louise, Don Pasquale, Norma, Roberto Devereux, Samson et Dalila, Le prophète, Peter Grimes, La forza del destino, Les Troyens à Paris et à Munich, enfin d’Otello à Turin, Peralada et Cordoue]. L’Amneris de Clémentine Margaine, mezzo en pleine santé vocale, au timbre riche et séduisant, projeté avec une puissance qui semble toujours naturelle et n’excède pas ses ressources à disposition, dégage une forte présence. Sacerdoti, compiste un delitto, son anathème lancé à l’encontre des prêtres en fin de la première scène du IV, forme l’un des sommets vocaux de la soirée. Anna Pirozzi possède aussi le format adéquat pour interpréter Aida. On l’apprécie sans doute encore davantage dans cet espace extérieur que dans un théâtre fermé où son instrument peut parfois sonner avec une touche d’agressivité. Sur fond de rayons laser verts, l’air du Nil est interprété avec goût après la jolie introduction du hautbois solo, l’extension vers l’aigu le plus haut perché étant toutefois légèrement précipitée. Le beau baryton de Youngjun Park accuse des limites dans le grave en Amonasro, tandis que, du côté des basses, on préfère le solide Ramfis de Rafał Siwek au Roi de Vittorio De Campo, complètement perdu rythmiquement à son entrée en scène et pas toujours juste d’intonation par la suite (Salvator della patria, io ti salutoI). Carlo Bosi (Messaggero) et Yao Bohui (Sacerdotessa) complètent agréablement.
Grand habitué des arènes de Vérone, Daniel Oren impulse une énergie de tous les instants aux musiciens et choristes de la Fondazione Arena di Verona. La direction est souvent rapide et il sait préparer de spectaculaires montées sonores vers des climax éclatants, mais aussi préserver les moments d’intimité de cet opéra qui en comporte de nombreux.
IF