Chroniques

par laurent bergnach

récital Noémi Boutin
Aurier – Mochizuki – Omelchuck – Pattar – Saariaho – etc.

1 CD L’empreinte digitale (2025)
ED 13265
La violoncelliste Noémi Boutin joue Mochizuki, Saariaho, etc.

« Avec Ricoche, je me présente à vous et je vous raconte mes dix dernières années musicales. » En ce qui nous concerne, nous connaissions Noémi Boutin, notamment pour l’avoir vu au côté de l’écrivain Alain Damasio, dans une sale période marquée par le port de masque sanitaire et la distanciation sociale [lire notre chronique du 1er octobre 2020]. En revanche, pour les nouvelles, nous sommes preneurs, donc fort curieux d’entendre les six soli réunis sur cet album.

« Les disques sont là pour avoir connaissance de ce qui est déjà écrit », s’enthousiasme l’artiste qui doit à l’un d’eux d’avoir découvert la musique de Kaija Saariaho (1952-2023) [lire notre entretien] – enregistrée par son confrère Alexis Descharmes [lire notre entretien]. Sept papillons (Helsinki, 2000), la plus jouée des pièces pour violoncelle de la Finlandaise, est aussi l’aînée du présent programme. Au sortir de son premier opéra, L’amour de loin, créé à Salzburg durant l’été, la créatrice cultive une légèreté de fond et de forme avec ces sortes d’études sur la fragilité et l’éphémère. En effet, même si l’on trouve ici quelques grincements et moments fébriles, belle part est faite à la douceur, au tournoiement et à l’effleurement – parlons même de chuchotis, malgré le non-sens de la formule.

Plus d’une décennie plus tard, Frédéric Pattar (né en 1969) s’inspire d’un poème de Lisa Samuels pour écrire Drink me (Clermont-Ferrand, 2013). Fasciné par les zones d’ombres de ce texte aux accents carrolliens – « une sorte d’entre-deux où l’on s’égare entre la volupté et l’effarement » –, Pattar associe une interprète à la voix blanche à un violoncelle proche de la contrebasse, aux nauséeuses ondulations [lire nos chroniques de La nuit remue, Quatuor n°2, Ricercar à 11 et Peephole Metaphysics].

Violoniste de formation et fondateur du Quatuor Béla [lire nos chroniques du 14 juillet 2012, du 8 juillet 2013, des 18 janvier, 5 mars et 10 juillet 2014, enfin du 4 février 2017], Frédéric Aurier (1976) n’en est pas moins un créateur. Avec Quietly (2015), sous-titré Reflec(x)tion sur les Suites de B. Britten, il conçoit « une musique domestique », inspirée par l’illustre Britannique que Noémi Boutin a beaucoup joué. Au départ très aérée, émaillée de mystère voire d’exotisme, la pièce aboutit à un expressivité lyrique, via un passage central malheureusement assez monotone.

Native de Tokyo, Misato Mochizuki (1969) n’en demeure pas moins une insulaire, en lien étroit avec la mer [lire nos chroniques d’Ima koko, Écoute, Terres rouges, Intermezzi, Taki no shiraito, L'Heure bleue, Musubi, Etheric Blueprint Trilogy, Quark II, Nigredo, Pas à pas, Intrusions et In-side, ainsi que notre entretien avec la compositrice]. Elle avait donc sa place dans le spectacle que la violoncelliste préparait avec le chef cuisinier Emmanuel Perrodin, autour de la confection d’une bouillabaisse. La pêche en mer dépend de la météo, d’où le titre de cette rêverie gourmande, La rose des vents, et celui de l’œuvre musicale, Reading winds – Intermezzi VI (Marseille, 2019). Afin d’éviter la surpêche, en particulier, « lire les vents » permet de cohabiter au mieux avec la nature. Deux parties se distinguent dans ce quasi-quart d’heure : une première très éthérée, nourrie de tourbillons et de virevoltes, puis la seconde où apparaît une noirceur qui vrombit, non sans quelques percées de sons flûtés.

Changeons de littoral avec Les filles de Lorient (2020) que la Biélorusse Oxana Omelchuk (1975) [lire notre chronique de Radiophonie intérieure] a composé pour répondre à un désir profond : « J’ai toujours été fascinée, explique-t-elle, par les chants français de marins, leur poésie, leur beauté mate et leur mélancolie ». Une chanson originale, soumise à une transformation rythmique et mélodique, constitue la base d’une bande sonore dont la partie de violoncelle se veut l’ombre. Le résultat s’avère envoûtant.

Enfin, terminons avec J’entends qu’t’entends (2023) dont les cinq épisodes voisinent chacune des autres pages évoquées. Inspiré par les mythes d’Écho et de Narcisse – deux destins douloureux qui soulignent une impasse –, Jean-François Vrod (1959) met en regard le son modifié de l’instrument et les préoccupations de l’interprète. Mais avant la rencontre avec ces figures maudites par les dieux, Noémie Boutin offre une entrée en matière aux allures de rituel (texte répétitif, petite percussion), puis une berceuse où apparaissent des anges – un moment de quiétude prélude ainsi à l’évocation des tourments du désir.

LB