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Chroniques
Così fan tutte | Ainsi font-elles toutes
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Après que Dmitri Tcherniakov a placé Così fan tutte chez des échangistes quinquagénaires (Festival d’Aix-en-Provence, 2023), Marie-Ève Signeyrole revient aux jeunes gens du livret de Da Ponte pour la nouvelle production de l’Opéra national de Lyon, et plus encore que d’ordinaire puisque ce sont vingt couples, différents à chaque représentation et âgés de moins de trente ans, qui sont invités sur scène pour vivre l’expérience au plus près, ainsi que jouer en tant que figurants dans l’opéra mozartien. La scénographie de Fabien Teigné, également responsable des costumes, place cet ensemble dans un amphithéâtre en deux parties que l’on peut pousser de chaque côté pour libérer l’espace au centre du plateau. C’est dans ce lieu qu’à l’aide de dialogues ajoutés Don Alfonso professe l’amour et la fidélité, maître de philosophie quand il évoque Platon et Spinoza, et qu’il lance au défi les jeunes gens afin de démontrer l'inconstance des femmes. On réalise rapidement que les matières enseignées et pratiquées sont les beaux-arts, plus précisément le dessin, la peinture et la sculpture, exercés en direct par certains étudiants filmés et projetés sur grand écran. Par la voix de Don Alfonso, la metteure en scène [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine à Montpellier, Owen Wingrave, Cenerentola, Royal Palace, Le monstre du labyrinthe, La damnation de Faust et Cassandra] déroule l’opéra en plusieurs séquences sur cinq jours – lundi, test n°1 : Séparation ; mardi, test n°2 : Coup de foudre ; mercredi, test n°3 : Empathie ; jeudi, tests n°4 et n°5 : Éveil des sens et Intimité ; vendredi, test n°6 : Ultimatum ; enfin samedi, test n°7 : Mariage.
Les modèles, qui posent partiellement ou totalement dénudés, participent aux jeux de l’amour et à l’éveil des sens des protagonistes, souvent filmés au plus près, comme lorsque Fiordiligi a bien du mal à résister à l’attrait de l’homme immobile autour duquel elle tourne. On passe à des travaux pratiques sur nature morte, en début de second acte, où l’on épluche et mange des fruits et légumes dans une sensualité quasi érotique. Même si les lieux du livret ont ici disparu, on précise qu’au premier acte Despina a préparé la cioccolata convenue et que cette gourmandise participe aux agapes voluptueuses. Un peu plus tard, on note un rapprochement amoureux entre Despina et Dorabella, les caresses à l’écran et petits bisous sur scène ne laissant que peu de doutes sur la nature de leur lien. Sans doute le concept s’essouffle-t-il par moments – la répétition de l’ouverture-fermeture de l’amphithéâtre, ainsi que de l’amenée récurrente de lavabos sur roulettes autour desquels s’aspergent gentiment certains protagonistes à plusieurs reprises – mais il faut reconnaître l’efficace travail de mise en place des jeunes figurants. En outre l’on apprécie le passage où six vélos s’alignent pour le vrai-faux départ au régiment de Ferrando et de Guglielmo, puis le trio des deux femmes avec Don Alfonso sur fond de route forestière qui défile à l’écran. En revanche, l’aspect participatif enthousiasme moins : lumières qui s’allument en salle lorsque Alfonso indique qu’un couple a quitté le projet (un autre se lève alors pour rejoindre la scène), ce même factotum de la soirée faisant reprendre plusieurs fois par spectateurs et spectatrices – c’est un comble ! – la phrase Così fan tutte au cours de son air.
Du point de vue vocal, ce sont les femmes qui dominent en séduction. À commencer par Tamara Banješević en Fiordiligi, soprano d’une vigoureuse projection et suffisamment souple et précis d’intonation pour interpréter ses deux airs, Come scoglio puis Per pietà, hérissés de difficiles passages d’agilité et autres intervalles vertigineux [lire nos chroniques de Parsifal, Ariodante et Elias]. Un seul, qui concerne ses notes les plus graves, détimbrées et, pour certaines, peu élégantes. Pas de réserves, en revanche, pour la Dorabella de Deepa Johnny, au timbre absolument charmant, à la fine musicalité livrée par un instrument d’une égale qualité sur toute l’étendue de la tessiture [lire nos chronique de Carmen et de la Messe en ut mineur]. Membre du Lyon Opéra Studio, promotion 2022-2024, le soprano Giulia Scopelliti prend, après avoir fréquenté de nombreux seconds emplois ici-même, ces dernières années, le rôle de premier plan de Despina [lire nos chroniques de Die Frau ohne Schatten, Adriana Lecouvreur, La dame de pique et Sette minuti]. Son chant est très agréable et d’une intonation juste, presque trop élégant pour caractériser la servante aux accents habituellement plus grinçants, voire caricaturaux. Son jeu convainc, entre domestique délurée, voire amoureuse, et faux médecin, puis faux notaire.
Membre de la même promotion du Lyon Opéra Studio, le ténor Robert Lewis ne dégage pas le même charme en Ferrando. Les intentions sont excellentes, en termes de style legato et nuances piano-forte, mais le résultat pas toujours à la hauteur. Son premier air, Un’aura amorosa, manque de substance quand la voix s’allège, dans un instrument serré, puis l’air du second acte, Ah, lo veggio, lui convient mieux, moins élégiaque et davantage vindicatif [lire nos chroniques de Tannhäuser, Hérodiade, La fanciulla del West et Wozzeck]. Distribué en Guglielmo, Ilya Kutyukhin est un baryton bien timbré et d’une certaine noblesse de grain, mais dont le volume s’avère trop limité pour véritablement marquer [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine à Bregenz et de Nerone]. Simone Del Savio s’impose nettement plus en Don Alfonso, surtout dans ses textes parlés à l’adresse des étudiants du soir ou du public.
Dès l’Ouverture, enjouée et vivante, les tempi choisis par Duncan Ward sont rapides en général [lire nos chroniques de Renard, Vers mes cieux vos regards pleins d’ivresse et Così fan tutte]. Les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon n’en assurent pas moins une qualité irréprochable, en particulier les solistes aux bois, sollicités en virtuosité dès les premières mesures. Placé en coulisse, le chœur maison apporte sans difficulté ses rares contributions.
IF