Chroniques

par irma foletti

The telephone | Le téléphone
Amelia goes to the ball | Amélia va au bal

opéras de Gian Carlo Menotti
Opéra de Toulon
- 26 avril 2019
The telephone, opéra de Gian Carlo Menotti, à Toulon
© dr

Dans sa production créée à l’Opéra Théâtre de Metz Métropole, Sylvie Laligne imagine les deux ouvrages de Menotti dans une continuité chronologique. Dans The telephone, courte pièce d’une petite demi-heure, composée en 1947, Lucy est presque constamment suspendue à son téléphone, se fait continuellement appeler – voire contacter, y compris par tweets ou en visio-conférence projetée en fond de plateau –, ou doit absolument téléphoner à Pamela pour lui raconter sa nouvelle brouille avec George. Dans ces conditions, elle ne dispose pas même d’une petite minute pour écouter la demande en mariage que Ben souhaite lui faire. C’est finalement en l’appelant de la gare sur son portable qu’il lui déclare sa flamme, Lucy acceptant tout sourire. Dans l’appartement du couple, des coupes sportives sont posées sur les étagères, une balançoire occupe le milieu de la pièce, Ben fait quelques pompes et exercices d’assouplissement, pendant qu’un match de footy (football australien, assez proche du rugby) est retransmis sur le poste de télévision. On comprend que Ben est un joueur en vue – tatoué, d’ailleurs, comme un vrai footballeur – appelé à prendre le brassard de capitaine lors du match du lendemain. Nous sommes alors en 2007.

Après l’entracte, pendant l’Ouverture d’Amelia goes to the ball, composé en 1937, ce sont des Unes de presse people qui sont projetées sur le rideau de scène. On voit la vie de Ben et Lucy défiler pendant la décennie écoulée : Ben Timento – anagramme de Menotti, mais aussi peut-être ti mento : je te mens, en italien ? – est devenu une vedette du footy. Les journaux se demandent s’il est « le joueur le mieux payé du monde », Lucy enterre sa mère Amelia sous les flashs des paparazzi et déclare « appelez-moi Amelia ». Quelques années plus tard, Ben sur la plage est « surpris avec deux belles blondes sexy », puis place au scoop « Ben et Amelia : ils se séparent ». Après la réconciliation vient le cliché du 5 mars 2017, jour de la première du spectacle à Metz, sur lequel le couple et leurs deux enfants arborent un sourire radieux. Cet enchaînement fonctionne parfaitement, avec un décor évidemment bien plus cossu dans le second titre, les armoires pleines de costumes et de paires de chaussures sous un riche lustre et autour d’un canapé design. Au mari et à l’amant ce mobilier permet des jeux de cache-cache dans les tiroirs géants ou derrière le miroir pivotant.

Le chef Jurjen Hempel [lire nos chroniques de Shadowtime, Le fil blanc de la cascade, Die Schule der Frauen et Turandot], directeur musical de l’Opéra de Toulon depuis l’automne 2018, détaille d’abord la délicate et espiègle partition de The telephone – clarinette virtuose, et beaux accords du piano seul – avant de donner plus d’ampleur à celle d’Amelia, dessinant un contour dramatique lorsque Ben découvre la trahison de sa femme. L’orchestre se montre en tout cas impeccable, tandis que les choristes, présents en deuxième partie seulement, ont tout de même un peu de mal à gérer les difficultés rythmiques du morceau final.

Enchaînant les rôles de Lucy et d’Amelia, le soprano américain Micaëla Oeste possède un timbre charmant et musical, mais à la puissance toutefois réduite. Très belle en scène et d’une grande classe en Amelia, elle montre sa volonté farouche d’aller au bal [lire notre chronique de Peter Grimes]. Le baryton Guillaume Andrieux est plus à l’aise en Ben qu’en Mari, rôle un peu moins dans sa tessiture naturelle, les graves étant plus sollicités [lire nos chroniques des Enfants terribles, de Pelléas et Mélisande et Didon et Énée, remembered]. Dans les principaux autres rôles distribués dans Amelia, le ténor Christophe Poncet de Solages (l’Amant) projette bien sa voix, y compris dans le grand air lyrique, façon opéra italien [lire notre chronique de L’enchanteresse], et la basse Thomas Dear (le Commissaire, celui qui emmènera finalement la belle au bal) fait entendre un instrument joliment timbré et un anglais de qualité [lire nos chroniques de L’amour des trois oranges, Salome, Richard III, Arabella, Pelléas et Mélisande, Le prophète, Semiramide et Les Troyens]. Au bilan, l’Opéra de Toulon a fait un excellent choix en invitant ce spectacle fluide et spirituel, qui participe à la diffusion du génie musical de Gian Carlo Menotti.

IF